Applaudissements, lundi 25 novembre, au soir, dans la grande salle de l’Opéra du Caire, après la projection de “It must be Heaven” (ça doit être le paradis) du palestinien Elia Suleiman. Un film salué par le jury du dernier festival de Cannes avec une mention spéciale. Cela fait dix ans que le cinéaste, qui a longtemps vécu à New York, n’a pas tourné de film. Son dernier, “Le temps qu’il reste”, remonte à dix ans, sélectionné à Cannes aussi. Dans son nouveau long métrage, Elia Suleiman revient à Al Nasserah, sa ville natale, pour raconter une histoire, celle de son propre regard sur le monde. La violence est en Palestine et ailleurs aussi. Le cinéaste, qui joue son propre personnage de filmmaker, voyage à Paris et à New York où il retrouve la même surveillance policière, le même racisme, la même paranoïa. A New York, la diaspora palestinienne est perdue. Dans une salle, elle applaudit des palestiniens de “l’intérieur” venus parler de leur vécu, sans les écouter réellement. “Les gens boivent pour oublier. Le peuple palestinien est le seul au monde à boire pour se rappeler”, raconte un palestinien de New York dans un bar. Elia Suleiman ne parle pas sauf lorsqu’il dévoile son identité à un taxi noir new yorkais qui jubile à l’idée d’avoir un palestinien à bord de sa voiture. Il parle de “Carafat” , pour Arafat, l’historique chef de l’OLP. C’est un film drôle qui puise dans l’absurde, le burlesque, parfois dans le surréalisme pour évoquer le monde contemporain, ses tourments, ses failles et ses craintes. Le cinéaste a choisi le silence comme arme fatale contre “les bruits” qui font du mal. “Il y aura une Palestine” promet un homme qui tire les cartes à New Yoryk. Elia Suleiman hausse presque les épaules, le regard toujours étonné.
Le cinéma mexicain sur le toit du monde
Le festival du Caire consacre cette année un Focus sur le cinéma mexicain. Un cinéma frais qui arrache beaucoup de prix à travers le monde et qui étonne par l’audace tant technique que philosophique et artistique des thèmes traités. Au programme, “600 miles” de Gabriel Ripstein, “Chronic” de Michel Franco, “Vent noir” de Servando Gonzalez, “Sentence à vie” de Arturo Ripstein…En compétion, le jeune Fernando Frias est course avec “Ya no soy aqui” (je ne suis plus là) qui aborde l’épineuse question de la migration en Amérique du Sud et des illusions qu’elle charie. “Il me semble que le monde d’aujourd’hui se ressemble de plus en plus, pas dans le sens positif. C’est ce qui m’a motivé à faire ce film”, a expliqué au Caire le cinéaste qui a voyagé dans plusieurs pays avant de finaler son projet en sept ans de travail. Un projet qui porte une féroce critique de l’impitoyale “politique” migratoire du président américain Donald Trump. Un véritable travail de sociologue raconté à travers le récit d’un adolescent, Ulises, danseur de rue et adepte de la cumbia, un genre musical né en Colombie et répandu au nord du Mexique et en Argentine. Il part à New York en quête d’un certain rêve, mais va être confronté à une dure réalité, à l’incompréhension. Au Caire, le scénarsite et réalisateur mexicain Guillermo Arriaga est venu débattre sur “le linéaire, le non linéaire et les histoires multiples” dans l’écriture du scénario. Depuis vingt ans, Guillermo Arriaga accompagne Alejandro Inarritu, le cinéaste mexicain le plus connu au monde actuellement. En 2000, il lui a écrit “Amours Chiennes”, un drame social qui narre le drame de trois personnages, perdus dans la métropole de Mexico et les dédales de la vie. En 2003, il a écrit un nouveau scénario pour Inarritu, « 21 grammes ». Il a également travaillé avec l’américain Tommy Lee Jones pour “Trois enterrements »”. Guillermo Arriaga est également écrivain, “Le sauvage” est son dernier roman, paru au début 2019. Un roman cru et cruel sur la vengeance dans le Mexico des années 1970.
Au Soudan, le septième art en éveil
Au Soudan, où un mouvement populaire pacifique a accéléré le départ du président Omar Al Bashir en 2019, le cinéma est entrain de renaître comme pour accompagner le grand désir de liberté des soudanais. Cette année, «Sa tamout fil al ochrine » (tu mourras à 20 ans) de Amjad Abu Alala a fait sensation dans les festivals mondiaux. Il a décroché le grand prix du dernier festival d’El Gouna en Egypte en septembre 2019. Une fiction poignante qui lève le voile sur des facettes inconnues de la société soudanaise où le poids des traditions est parfois étouffant. “Nous venons de jeter une graine”, a confié le producteur soudanais Mohammad Alomd’a après le succès du film. Amjad Abu Alala a été invité au Caire pour débattre de “la montée” du cinéma soudanais. La salle Hanager de l’Opéra du Caire a abrité la discussion en présence de deux autres noms illustres du septième art soudanais actuel, Marwa Zein et Talal Afifi. Marwa Zein a présenté au Festival du Caire, en hors compétition, son dernier documentaire “Khartoum Offside” sur le combat de femmes footballeuses pour créer une équipe nationale au Soudan. Elles doivent surmonter des préjugés sociaux, des blocages administratifs et des interdits politiques. Pour ce faire, elles jouent des coudes, évoluent en zones hostiles, mais ne cèdent pas. Balle aux pieds, elles courent, le regard sur la lucarne. Sans aucun commentaire, le documentaire se base sur les déclarations spontanées des joueuses filmées dans leur milieu social et familial. Tout est cru et sans maquillage, spontané. Les femmes considèrent que s’imposer sur le terrain du sport roi est possible et que l’idée reçue du foot “un sport d’hommes” est fausse. La documentariste, qui est à son premier film après avoir assuré la programmation artistique du festival du cinéma du Soudan entre 2014 et 2017, rappelle que le Soudan avait déjà une équipe féminine de Basketball dans les années 1960. La série des coups d’Etat et l’arrivée d’islamistes au pouvoir, ces cinquante dernières années, ont tiré la société soudanaise vers l’arrière, la division du pays en deux, comme le souligne une footballeuse dans le film, a compliqué davantage la situation de ceux qui vivent dans ce qui, était encore hier, le plus grand pays d’Afrique.