« Karim Fatimi n’est pas mon double littéraire » (Entretien exclusif avec Mustapha Benfodil) - Radio M

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« Karim Fatimi n’est pas mon double littéraire » (Entretien exclusif avec Mustapha Benfodil)

Radio M | 22/10/20 08:10

« Karim Fatimi n’est pas mon double littéraire » (Entretien exclusif avec Mustapha Benfodil)

Auteur de « Body Writing » chez les éditions « Barzakh », le lauréat du prix « Mohamed Dib », Mustapha Benfodil, s’est confié à Radio M pour un entretien exclusif, dans lequel il évoque, entre autres, ses pérégrinations intellectuelles vers le terrain de l’écriture.

Radio M : Que représente pour vous le prix Mohamed Dib ?

Mustapha Benfodil : C’est un prix qui porte le nom d’un illustre écrivain qui a beaucoup compté dans ma formation littéraire, car c’est un écrivain qui a une œuvre singulière, c’est un très grand honneur.

« Body Writing », est un livre qui est à la croisée de plusieurs genres et qui a beaucoup déconcerté les lecteurs à sa sortie…

La proposition artistique pour n’importe quelle discipline est libre, selon le postulat suivant : l’artiste propose et le public dispose.  Je suis convaincu que n’importe quelle œuvre de quelque discipline que ce soit est en mesure de rencontrer son public.  De rencontrer un appareil critique, de remporter des prix. Il y’a effectivement une radicalité formelle qu’on attribue à certaines œuvres qui les rendraient un peu moins accessibles et qui pour le coup les confineraient dans une forme de confidentialité. Je n’ai pas du tout peur de ce risque et ce n’est pas un paramètre que je prends en compte. Pour moi, il y’a une forme d’éthique, de sincérité que je pousse y compris dans la forme. C’est-à-dire que si je pense que cette stratégie narrative sert mieux mon propos, j’y vais quitte à me casser la gueule. Cette liberté je la dois également à mon éditeur Barzakh qui partage avec moi ce goût pour l’exigence et l’exploration.

Le personnage principal de « Body Writing », Karim Fatimi est-il votre double littéraire ?   

En réalité, je brouille les frontières entre autobiographie, autofiction et documents. Ce sont trois registres qui renvoient au réel, à ma vie, mais que le manipule avec beaucoup de malice. C’est presque jouissif chez moi de brouiller les frontières. Même mes frères et sœurs seraient incapables de démêler ce qui est vrai, de ce qui ne l’est pas. A partir du moment où je me sers d’un matériau et que je décide d’en faire une fiction, j’ai besoin de cette liberté pour en faire ce que je veux. C’est pourquoi je peux dire que Karim Fatimi n’est pas mon double littéraire.

« Body Writing », s’inscrit dans la période du terrorisme. On peut imaginer votre prochain roman ancrer dans le Hirak ?      

Je peux répondre oui, mais avec des réserves. Ce n’est pas un sujet qui va m’amener à fabriquer un roman, il me faut un peu plus que ça. Il se trouve que je suis phagocyté par l’actualité et donc j’ai besoin de recule. Dans les conditions actuelles, en Algérie, je pense qu’on peut glisser quelque chose autour de l’interpellation de l’écrivain dans ce qui agite la société.  

Entre votre premier roman « Zarta » et celui-ci, comment vous appréhendez aujourd’hui l’écriture ?

J’appréhende de plus en plus le livre comme un objet. Avant même d’être une histoire, c’est d’abord un objet physique, qui est pour moi fondamentale. C’est de l’ordre du papier qu’on touche, qui a des signes. C’est pour cela que j’utilise le dessin, la photographie, des documents scannés. A partir de là, s’ouvre une brèche qui va m’amener sur le terrain de l’écriture. Cette approche a mis du temps pour s’installer parce qu’entre temps j’ai touché à deux ou trois choses qui ne sont pas de l’ordre du littéraire : c’est le cas de l’espace dans le théâtre qui m’a permis de découvrir la dimension sonore du texte, qui est fondamentale dans mon écriture. Il y’a aussi la dimension visuelle qui m’a permis d’ouvrir le roman, car je suis persuadé qu’il est possible d’intégrer d’autres ingrédients dans le roman. Aujourd’hui, je suis de plus en plus dans l’hybridation.