Le jour où Maradona est devenu fan de Matoub Lounes (Par El kadi Ihsane) - Radio M

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Le jour où Maradona est devenu fan de Matoub Lounes (Par El kadi Ihsane)

Radio M | 27/11/20 15:11

Le jour où Maradona est devenu fan de Matoub Lounes (Par El kadi Ihsane)

Mettons les choses au clair d’entrée. Je n’ai trouvé aucun autre moyen d’attirer l’attention sur un blog dédié à Maradona en ce jour de Tsunami éditorial sur lui. Tout était déjà pris. L’Equipe a même titré « Dieu est mort », pleine Une. Comment exister après ? Devrais je avouer dès la troisième ligne de mon blog que Dieu n’a jamais rencontré la voix de Matoub ? Risque de décrochage massif. Restons donc agnostiques sur la question. Peut être que oui, peut être que non. Comme pour la main que n’a pas vue l’arbitre Bennacer. Pas vu, pas pris. Tout a été déjà dit pour expliquer cette onde planétaire nostalgique de la présence de Diego.  Exemple, le Rebelle qui vole – d’une main ? – aux riches, les anglais, pour donner – du bonheur- aux pauvres, les argentins humiliés par la défaite militaire aux Malouines. Oui. Mais pourquoi  l’Etat indien du Kerala décrète deux jours de deuil officiel pour quelqu’un qui ne connaît même pas les règles du cricket ?  La légende de Robin des Bois ne peut pas conquérir les nantis. Sauf si le braqueur est Maradona. Car il existe un art rare de la rapine. Que lui seul habite pour offrir une esthétique de la redistribution. Un peu de bien être à Naples du sud face à Milan de la prospère Lombardie. Maradona n’est pas le plus grand footballeur de tous les temps – j’ai pas osé le mettre en titre. Sur le strict plan de la chorégraphie et de la performance Messi et Pelé sont au dessus. Il est le génie le plus attachant. Celui en qui une vaste humanité reconnaît, au premier contrôle orienté, ce qui la taraude. Le doute universel.  Maradona est la Création de l’imprévisible. Dieu et Diable à la fois. Sur la frontière de tous les possibles.  Comme sa conduite de balle. Extérieur- intérieur ? L’ombre furtive d’un doute. Déroutante.

Rien n’est écrit

Dans un monde assailli par les certitudes, une contre-religion  hédoniste de l’indéfini a trouvé son prophète au milieu des années 80. Maradona slalome en crochets et extérieurs pied gauche, zigzague sur une ligne de cocaïne,  dessine une feuille morte tombante sur coup-franc ou se mutile en oiseau de nuit fracassé. Rien ne remplit sa béance. Rien n’est écrit d’avance. Tout est inventé dans un hasard quantique. Naturel que son geste technique s’émancipe de toutes les scholastiques. Illisible. Des Algériens l’ont croisé  le 02 septembre 1979 au Japon aux championnats du monde des U20.  L’Algérie rencontrait l’Argentine en quart de finale. Un moment dans le match, Djennad, le stoppeur des verts, en retard sur un dribble de Maradona s’est retrouvé, perdu, hors du champ de jeu prés du banc de touche de Saadane. Il était certain de son tacle. Le jeune Dieu incertain de sa réponse. Exécutée et inventée dans un même geste. Insaisissable. Si le monde pleure Maradona ce n’est parce qu’il avait des convictions fortes, qu’il n’a pas renié ses origines pauvres, qu’il a soutenu les opprimés partout y compris les palestiniens, ou fait un pied de nez aux Etats Unis de Georges Bush. C’est pour l’inverse. C’est parce qu’il sublime son suffocant doute ontologique en art populaire. Car dans le doute, il ne s’abstient pas. J’ai écrit une de mes chroniques les plus exaltée de  jeune journaliste sportif la nuit du dimanche 22 juin 1986, après le quart de finale de coupe du monde au Mexique. Le doute a duré 4 minutes. Entre « la main de Dieu » de la 51e minute et le choc des cultures de la 55e minute. Le protestantisme britannique ne prévoit pas dans son éthique qu’un voleur revienne aussi vite sur les lieux de son larcin. En partant d’aussi loin. Qu’il récidive avec le pied. Le gauche. Celui qui, dans le doute, à chaque touché de balle, a fait changer de direction au destin du monde.

Le doute comme une liberté

La planète des vivants – ceux qui n’aiment pas le football le sont différemment – se révèle depuis  cette sinistre annonce de la mort de Dieu comme elle est au fond. Idolâtre pour ceux qui racontent si bien l’humanité. Ceux qui ré-enchantent le monde en n’esquivant pas  la question du « pourquoi » lorsque la Raison de la FIFA ne parle plus que du « comment ». Johan Cruyff a déclenché une grande émotion lorsqu’il a disparu trop vite en mars 2016.  L’Equipe avait titré, toujours pleine Une, « Il était le Jeu ». En fait, le « Hollandais volant » a fait école. Système. Maradona, lui, parle à une humanité plus large car il est son recours ésotérique face à tous les systèmes.  Dribble à distance.  Au Pape il propose de vendre son toit en or au Vatican et de passer aux actes pour aider les pauvres. A Alger, il donne, en 2013, un baiser à sa campagne Claudia Villafane à la table d’honneur des officiels bien embarrassés. Dans le doute, il ne s’abstient pas. Il invente une liberté.  Maradona Rebelle ? Cela fait bien penser à quelqu’un de chez nous.  Maradona n’a peut être jamais vibré à la voix venue de l’âme de Matoub Lounes. Mais peut-on jurer qu’il n’en serait pas devenu fan à la première écoute ?  Le doute est permis.

Par El kadi Ihsane