Qasr chaab, cet immeuble en construction (depuis ? jusqu’à ?), chantier à l’arrêt, appartenant à la famille Benhamadi, qui avait été le lieu de rassemblement d’une foule immense, impressionnante, qui avait valu à BBA le titre de « Capitale du hirak », sur lequel était déployé du toit un tifou représentant une scène politique, caricature, de la semaine, a été réinvesti cette semaine. Le dernier tifo date du 17 mai, il représentait 2 bateaux en course, l’un algérien avec des armes militaires et l’autre juste derrière avec le drapeau français, au bout de la course un bout de terre, l’Algérie. En haut à droite il était écrit en arabe « Histoire, Unité et Nation » traduit à gauche en anglais. Sur le bateau algérien on pouvait voir article « 7 et 8 » sur les rames du bateau et sur le drapeau il était écrit « la patrie, la seule, Badissia, novembaria ». Dans la foule beaucoup de débats, des pataugas au bout d’un fil, des slogans contre, d’autres acclamant Gaid Salah. Qasr chaab hurlait « Djich chaab khawa khawa ». Une partie de la foule criait « doula madania machi 3askaria ». Le vent soufflait très fort, le tifo se déchira entre les deux bateaux. La division avait déjà commencé. C’était le dernier tifo. Nous étions mi mai.

Depuis, Qasr chaab vidé, gardé par la police, les Ouled El Jebess, qui organisaient cet événement hebdomadaire, ont déserté les vendredis et le Qasr.
Ce mardi 24 décembre, il est réinvesti, par ces mêmes Ouled El Jebess, un immense portrait de Gaid Salah y est déployé, chants patriotiques sur enceintes et crient de « Djich chaab khawa khawa we el gaid salah m3a chouhada ».
Pas grand monde, que des hommes, jeunes hommes.
Prises de parole de quelques organisateurs et d’une femme qui appelle les femmes, il n’y en avait pas, à faire des youyous à la mémoire du Gaid. Un jeune organisateur intervient, dit qu’ils étaient avec le hirak depuis ses débuts mais depuis qu’il a été récupéré, il ne dit pas par qui, ils n’ y participent plus. Ils promettent de revenir ce vendredi. Pourquoi ?

Nous sommes sortis, mon frère, ma mère et moi, vers 14h, pour aller à la manifestation. On croise sur le chemin, mon beau-frère, « il n’y aura plus de massira à Bordj, ils se sont fait dégager. Ils ont été caillassés, dispersés. Il faut calmer les choses. Ils disent qu’il faut laisser le temps au nouveau président de faire ses preuves, 6 mois, 1 an et s’il ne fait rien, on ressort. »
Nous poursuivons notre chemin vers Qasr chaab.
Ils sont effectivement revenus, Ouled el djebess, avec un nouveau tifo, cette fois on y voit Gaid Salah au coté de Boumediene carte de l’Algérie et drapeau national en fond. Petite foule, d’hommes exclusivement, rassemblée. « Ils ne sortiront plus », dit un homme près de nous. « Ils veulent la fitna », ajoute un autre. Nous ne disons rien. Nous observons. L’ambiance est lourde, rien à voir avec les vendredis de février, mars, avril, mai, juin ou même juillet, sans le tifo. La foule était grande, des familles, des jeunes, des vieux, des vieilles, des jeunes femmes en groupe ou seules ou en couple. Drapeaux nationaux et amazigh flottaient.
Ma mère ne veut pas rester. Elle ne s’attendait pas à cela. Elle ne tardera pas. Je reste seule. Un groupe de jeune crie « ya lkbayli » (le kabyle), et coure vers lui.
Soudain la foule se met en mouvement au cri de « Djich cha3b khawa khawa, wa el gaid salah m3a chouhada », « fi BBA ma kanech al zouaves ». Qasr chaab se vide. Ils marchent tous. Où vont-ils ? Je les suis. Il se dirigent vers la manifestation, celle des « hirakistes », disent-ils. La police est déjà au point de rencontre, peu nombreuse, une dizaine, elle fait tampon. Des cris, des pancartes déchirées, des portraits de Abane Ramadane au sol. Des insultes. Un brouha. Pas de coup cette fois.

Des groupes se forment, ils ne discutent pas mais se disputent. Ils ne débattent pas mais s’insultent. Un petit groupe de femmes des « hirakistes » crient « doula madania machi 3askaria », les autres leur rétorquent « rawhi ldarek, win rah rajlek », un autre « va surveiller toi même les frontières! »
Je marche, circule parmi les groupes, un homme me dit de partir car c’est dangereux. Un hirakiste tente de discuter, d’expliquer pourquoi il sort encore et sortira encore vendredi prochain « je suis braidji, je ne suis ni kabyle ni arabe. Ils veulent nous monter les uns contre les autres, ne les suivez pas mes frères. on a marché ensemble pour notre pays, continuons à le faire » mais personne le l’écoute malgré la foule qui l’entoure. Tous crient, hurlent. On ne s’entend pas.
Le groupe de femmes est toujours là, elle hurlent, ils hurlent à leur tour. Les voix ne se distinguent plus. Un brouha inaudible. Je m’éloigne un peu, j’interpelle un homme, « ils veulent la fitna, ils sont venus provoquer. Pourquoi faire ça. Nous, on sort le vendredi, ils n’ont cas sortir le samedi. »
L’une des femmes vient vers moi, « et toi que dis tu ? avec qui tu es ? tu ne dis rien ! » Je ne dis, je ne sais plus. Elle poursuit « Benhamadi et ses frères sont de retour, ils leur ont payé leur tifo et leur ont ordonné de nous agresser. » Me toise, sourit et s’éloigne, rejoint ses ami.e.s et s’en vont. Je reste. Quelques jeunes, se chauffent les uns les autres, crient et courent vers les quelques manifestants restés, la police les arrête. Un homme à coté de moi, dit à son ami « tu vois le boulanger dont je t’ai parlé, il est kabyle et tu vois, il est là ». Je pars. Sur le chemin, j’entends un groupe discuter, « Bouteflika rah, Bensalah rah, Bedoui rah, Gaid Salah allah yrahmou, que veulent-ils maintenant ? »
Ps: il y a eu quelques blessés avant notre arrivée dont ce manifestant