C’est à travers un faire-part publié ce matin 27 décembre sur Facebook par son fils Marc que j’apprends le décès de Jean-Louis Swiners. Photographe et photojournaliste français, lauréat du prix Niepce en 1962, Jean-Louis est né en 1935 à Montreuil en Seine-Saint-Denis. Il est mort à 84 ans après s’être battu jusqu’à la dernière minute contre la maladie : plusieurs cancers dont il parlait avec beaucoup d’humour sur page Facebook. Une cérémonie aura lieu le vendredi 3 janvier à Suresnes pour lui rendre un dernier hommage.
J-L Swiners. Autoportrait en photographe-orchestre datant de 1962
Ma rencontre avec Jean-Louis
En 2016, une photographie du célèbre chanteur Slimane Azem datant de la Guerre d’Algérie et le montrant en train de jouer du banjo entouré de harkis fait le tour des réseaux sociaux. La photo, publiée initialement en février 1972 dans un numéro d’Historia Magazine, avait suscité la controverse. Et des échanges, parfois virulents, entre ceux qui voyaient dans cette phot la “preuve” irréfutable que le chanteur était un harki et ceux qui considéraient que le nationalisme de l’auteur de « Algérie mon beau pays » n’était plus à prouver. Nous savons tous que cette accusation de « traîtrise », liée plutôt aux activités politiques de son frère Ouali, a même valu à Slimane Azem d’être banni de son pays par les autorités algériennes post indépendance.
Slimane Azem jouant du banjo. Historia Magazine N° 214 – 7 février 1972
J’ai voulu pour ma part creuser un peu plus cette histoire pour essayer d’éclairer autant que faire se peut nos compatriotes en partant du principe que tout n’est pas noir ou blanc quand il s’agit de parler de cette histoire de la guerre d’Algérie. Le contexte étant ce qu’il était, nous savons à travers plusieurs des témoignages et des écrits d’historiens que même les vrais harkis ne sont pas tous à mettre dans le même panier. Entre ceux qui ont pris le parti de la France volontairement et ceux qui ont été contraints, les récits sont divers et ne se ressemblent pas…
C’est donc ainsi que je tombe sur le nom de l’auteur de ce célèbre cliché : Jean-Louis Swiners. J’avoue qu’avant de me lancer dans une recherche sur Google, je n’étais même pas sûr de pouvoir trouver quelque chose. Tout cela remonte à si loin que j’étais persuadé que le photographe gisait six pieds sous terre depuis belle lurette. A ma grande surprise, je tombe sur des dizaines de pages parlant de lui, plusieurs sites internet lui appartenant et même sur une page Wikipédia ! C’est que le bonhomme a eu plusieurs vies et il était toujours en pleine forme, toujours souriant et prêt à dégainer une blague. Après avoir arrêté la photographie en 1964, il enchaîne les carrières : publicitaire, consultant en marketing et stratégie, conférencier et écrivain. Il dit même être le concepteur du premier prototype du VTT en France !
Je décide alors de le contacter via les adresses mails que j’ai dénichées et voilà qu’un jour de juillet 2016 je reçois un appel. Au bout du fil, un monsieur avec beaucoup d’humour qui tente de bien prononcer mon nom et se présente : Jean-Louis Swiners. Nous avons discuté pendant près d’une heure au téléphone et un an plus tard presque jour pour jour, en juillet 2017, il m’a fait l’honneur de m’inviter chez-lui à Suresnes.
Il a beaucoup parlé de son travail, de ses nombreux séjours en Algérie et notamment en Kabylie en tant que photojournaliste. J’apprends ainsi qu’en 1957, Jean-Louis prend la place d’André Gazut, assistant de Jean-Philippe Charbonnier, à « Réalités » qui fut la revue illustrée la plus influente et la plus passionnante dans la France des années 1950 à 1970.
André Gazut, devenu objecteur de conscience est parti vivre en Suisse, après avoir découvert un jour au sein de sa rédaction des photographies montrant la pratique de la torture en Algérie. C’est ainsi que Jean-Louis s’est retrouvé à plusieurs reprises en Algérie pour réaliser des reportages photo pour “Réalités” qui avaient lancé à l’époque une série d’enquêtes sur la réalité de la politique de pacification appliquée par la France en Algérie. Et c’est ainsi que Jean-Louis a produit entre autre une série de photos qui ont servi pour illustrer un reportage de 1959 sur les familles de harkis. Regardant la photographie de Slimane Azem, Jean-Louis me dit se souvenir de «ce chanteur que l’armée avait fait venir lors d’une tournée pour remonter le moral des troupes puis repartir ». Il ne connaissait pas du tout le chanteur mais il dit être « certain qu’il n’avait rien à voir avec les harkis et qu’il n’y avait, pour lui, aucun doute là-dessus ».
J-L Swiners chez-lui le 12 juillet 2017. Photo : B. Bouaïch
Je devais revoir Jean-Louis, car il avait beaucoup d’autres photographies à me montrer. Il était en train de mettre justement de l’ordre dans ses nombreux cartons d’archives et… ses souvenirs. Mais cela ne s’est jamais fait faute de temps et à cause de sa maladie.
Ce n’est qu’en 2015 que Jean-Louis a commencé à mettre le nez dans ses archives. En mettant fin à sa carrière de photographe en 1964, il a « chassé de son esprit et mis de côté », comme il dit, tout ce travail qui a duré quand même 7 ans. Ce n’est qu’en 2015 qu’une agence de photo (Gamma-Rapho, si je ne me trompe) le contacte pour lui demander s’il avait toujours en sa possession ses vieilles photographies (Jean-Louis avait aussi des photos de célébrités comme celles de Jean-Luc Godard et Brigitte Bardot durant le tournage du « Mépris » en 1963). Et c’est ainsi qu’il se lance à 80 ans passés dans un gigantesque chantier d’indexation et d’archivages de ses photos tout en organisant des expositions.
J’ai quitté Jean-Louis tard dans la soirée. En sortant, je lui fais remarquer que j’avais moi aussi droit à être fixé par son objectif. « On est cons !», me dit-il. Il va chercher son Iphone, qui a remplacé son appareil habituel et avec lequel il réalise des merveilles, me dit-il. Et, cherchant une belle lumière, il nous prend en selfie à travers le miroir de l’ascenseur…fixant pour l’éternité ce sourire qui ne le quittait jamais.