1. 2019 est d’ores et déjà «une année historique», dans le sens plein du terme. En effet, elle marque le début d’une révolution démocratique populaire pacifique inédite dans l’histoire de l’humanité. Qu’elle aboutisse dans les prochains mois ou dans les prochaines années, elle a déjà réalisé de grandes choses.
2. Elle a donné un coup d’arrêt à la déliquescence de l’Etat et de la société. Le surgissement du peuple algérien à travers l’ensemble du territoire national, et au-delà, de par le vaste monde, par millions, mêlant toutes les catégories sociales, toutes les tendances idéologiques et politiques, toutes les générations, de façon unie et absolument pacifique, autour du même objectif : le départ du régime et l’édification de l’Etat de droit, lui a permis de renaître en tant qu’entité politique effective, acteur décisif de son histoire, et de s’ériger contre un régime qui, depuis des décennies, conduit le pays à la catastrophe.
3. Ce soulèvement multidimensionnel répond simultanément et de façon cohérente aux causes principales de la crise profonde qui malmène, érode et saigne le pays depuis trop longtemps. Les Algériennes et les Algériens se sont soulevés contre le mépris et l’humiliation, contre l’arbitraire et la corruption, contre l’injustice et les atteintes à leur dignité, contre le non respect des droits de l’homme et du citoyen. C’est en ayant identifié le régime comme la source de tous les maux qu’ils endurent depuis des décennies, qu’ils exigent son départ et qu’ils ne s’arrêteront pas avant d’avoir réalisé leur objectif. Ils ont conscience qu’il s’agit là d’une question de vie ou de mort. Car la dynamique qu’ils ont réussi à contrarier depuis février est une dynamique suicidaire pour l’Algérie et son peuple. Avant le déclenchement de la révolution actuelle, l’Etat et la société approchaient à grande vitesse d’un point de rupture, rupture entre gouvernants et gouvernés, rupture de l’unité nationale et du consensus général qui prévalent depuis l’indépendance, rupture des équilibres économiques et sociaux.
4. La prise de conscience du peuple algérien des graves dangers qui menaçaient son existence lui a permis de refuser la fatalité, de surmonter la peur et le trauma, et d’inventer une forme de lutte terriblement efficace : le combat de la grande masse populaire pacifique. Intervenant après des décennies de dépolitisation active, de répression politique et intellectuelle, d’aliénation et d’intoxication de la société par l’instillation en son sein de fausses valeurs et de vrais poisons idéologiques, de ravage de la corruption, cette révolution est une véritable prouesse.
5. Cette révolution est une chance historique immense, à vrai dire totalement imprévisible, même si ardemment espérée, il y a un an à peine. C’est une chance historique dont les «élites» ont encore de la difficulté à se saisir. Ayant été intégrées par «le système», par la destruction de l’université, la domestication des médias et la fermeture de l’espace public aux citoyennes et aux citoyens, elles ont du mal à s’en dégager, malgré certaines velléités. Le résultat est que cette révolution est conduite par le peuple lui-même, par un mouvement populaire auto-organisé qui, au fil des jours et des semaines, définit ses priorités, choisit ses cibles, invente ses slogans, en comptant sur ses propres forces, en restant ouvert et pacifique à chaque pas, tout en restant attentif et vigilant, et capable de s’opposer aux provocations du régime, aux tentatives de division du mouvement, et de résister de façon exemplaire à la répression multiforme qui s’exerce sur lui.
6. Ce mouvement populaire, massif, déterminé, pacifique et puissant, est également parvenu à imposer certains changements. Il est décidé à en imposer d’autres, dans le cadre d’un «dialogue» entre lui et le pouvoir, un dialogue de fait qui se déroule sous la forme de revendications et d’opinions exprimées dans la rue et les réseaux sociaux auxquelles répondent les discours et les décisions du régime.
7. La révolution n’est pas encore parvenue à imposer des élections démocratiques, l’ouverture de l’espace public, la libération du champ politique, ou un processus constitutif ouvert et transparent, mais ces objectifs seront tôt ou tard atteints car, en réalité, pour le pays il n’y a pas d’alternative à la satisfaction des revendications du peuple, revendications raisonnables, constructives, justes et légitimes visant à l’établissement de l’Etat de droit et au triomphe des valeurs centrales du peuple algérien : dignité, justice et liberté.
