Ouamar Saoudi : « Interdire aux partis politiques de recevoir des citoyens dans leurs sièges pousse à la clandestinité » - Radio M

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Ouamar Saoudi : « Interdire aux partis politiques de recevoir des citoyens dans leurs sièges pousse à la clandestinité »

La Rédaction | 29/04/22 11:04

Ouamar Saoudi : « Interdire aux partis politiques de recevoir des citoyens dans leurs sièges pousse à la clandestinité »

Ouamar Saoudi, membre de la direction du RCD et membre actif du pacte pour l’alternative démocratique (PAD), à l’initiative du lancement du Front contre la répression et pour les libertés, livre dans cet entretien, ses impressions quant aux menaces de dissolution qui pèsent sur les partis politiques qui prennent part à cette initiative.

Radio M: Le ministère de l’Intérieur a mis en demeure le MDS, lui interdisant d’accueillir des citoyens dans son siège. C’est le deuxième parti mis en demeure pour les mêmes raisons après le RCD. Quelle lecture en faites-vous ?

Ouamar Saoudi: Il n’y a pas d’autres lectures à faire en dehors du fait que le pouvoir réaffirme sa volonté d’accentuer le cours liberticide de sa politique. Il confirme que la ligne générale de son action ne peut souffrir d’aucune voix discordante et que la criminalisation de l’action politique d’opposition et le recours à l’emprisonnement d’activistes et de militants politiques constituent le cœur de la politique de normalisation autoritaire. Depuis mars 2020, le dispositif, ou plutôt l’arsenal, de nouvelles lois liberticides ouvre la voie à tous les arbitraires, soumet toutes les organisations à des menaces de suspension, voire de dissolution et dépouille les individus de toute citoyenneté.  


RM : Dans le cas du RCD, le ministère de l’Intérieur était explicite. Il a reproché au parti de Mohcine Belabbas le fait d’abriter les réunions du Front contre la répression. Le MDS aussi accueille les partis et militants du même front. C’est l’organisation contre la répression qui fait réagir les autorités, n’est-ce pas ?

O. S : Vous savez, dans ce cas d’espèce (violation par le pouvoir de la loi sur les partis politiques),  les termes utilisés importent peu. Interdire aux citoyens d’accéder aux sièges des partis politiques ou plutôt interdire aux partis politiques agréés de recevoir dans leurs sièges des citoyens ou des militants politiques, pendant que les pouvoirs publics veillent à ne pas délivrer d’autorisations pour les réunions publiques, n’est pas simplement illégal, il procède de l’autoritarisme. Elle est d’abord irresponsable et potentiellement porteuse de dérives graves. Elle peut pousser à la clandestinité ou à des voies extrémistes sans compter que l’accumulation des exclusions et de faits du prince compliquent généralement la recherche des consensus quand l’heure, inéluctable, où les bonnes volontés prennent conscience que la sortie de crise passe par le débat libre et le dialogue sincère, sonnera. Evidemment, les activités du Front contre la répression et pour les libertés n’agréent pas les tenants de la répression tous azimuts et l’instauration de la terreur dans le silence. Pour le reste, le Front qui est ouvert à tous ceux qui n’acceptent pas l’arbitraire et militent pour que les libertés démocratiques soient respectées, comme le stipule la constitution en vigueur et les conventions internationales signées par l’Etat algérien. Le Front n’a ni vocation à exercer le pouvoir ni à en disputer sa prise par aucun moyen.     


RM : Où en est la structuration du front contre la répression ? 

O. S : Le front n’a pas vocation à se structurer organiquement. Brièvement, l’organe souverain et de décisions est l’Assemblée générale, elle est ouverte à tout citoyen, syndicaliste, militant associatif, des droits de l’homme ou politique, journaliste … , à la condition de souscrire aux textes fondateurs du Front, la dernière session s’est tenue le 5 mars dernier. Cet organe délègue l’exécution de ses résolutions à une coordination qui, à son tour, s’est dotée d’un secrétariat. La coordination rend compte régulièrement à l’Assemblée générale. La prochaine se tiendra probablement du courant du mois de juin. Parmi les tâches en cours décidées lors de la réunion du 5 mars, il y a la confection d’un livre noir sur la répression du Hirak, un bilan sur l’état des libertés, des travaux de déconstruction du dispositif liberticide, l’élargissement du Front ….C’est donc une structuration strictement horizontale. Sur le terrain (local), des activistes et militants du Front s’organisent pour assister les victimes (détenus, interpellés…) et donner de la visibilité à leur combat et à leur drame.  


RM : le front contre la répression peut il continuer d’exister sans les partis politiques puisque ces derniers sont interdits d’y prendre part ? 

O. S : Même si l’appel à la constitution de ce Front émane du PAD (pacte pour l’alternative démocratique (appel du premier novembre 2021), il s’adresse, comme vous le savez, à tous les militants, organisations ou membre de corporation qui partagent nos inquiétudes sur l’état des libertés et qui décident d’agir pour arrêter le rouleau compresseur répressif et liberticide. Evidement les entraves faites aux activités des partis politiques et les menaces sur leur existence (dissolution) constituent aussi une menace sur les activités du Front. Par contre, croire qu’il suffit d’asphyxier les partis d’opposition pour que le Front cesse ses activités, c’est mal connaitre la détermination et l’engagement de militants des partis politiques, des droits de l’homme et de personnalités indépendantes, quant à leur refus de subir la répression dans le silence et l’humiliation. Le combat du Front est aussi un combat pour le respect des libertés d’organisation et la défense du multipartisme.

On ne peut pas, durablement, sponsoriser une politique contraire à l’histoire.

Ouamar Saoudi

 
 RM : Au même moment où on attend des mesures d’apaisement et la libération de tous les détenus d’opinion, le pouvoir veut interdire la dénonciation de cette situation. À quoi peut-on s’attendre à votre avis ?

O. S : Je ne sais pas si le pouvoir prend conscience que la libération des détenus politiques et d’opinion est une exigence pour apaiser le pays et mettre fin aux souffrances des détenus, de leurs familles et proches. Par contre, le décès tragique de Hakim Debbazi à la prison de Koléa après le refus de lui permettre de se soigner, le silence des autorités suite à cette nouvelle tragédie et la poursuite de la politique de répression à travers les poursuites judicaires des citoyens interpellés le 20 avril, sont loin de plaider pour l’apaisement. La libération des détenus politiques et d’opinion n’a de sens que si elle s’accompagne de la fin des persécutions et des arrestations de militants politiques, activistes, syndicalistes, journalistes, avocats… qui ne font qu’exercer leurs droits constitutionnels et qui font honneur au pays. Les faits sont toujours têtus, les déclarations de bonnes intentions, quand elles existent, n’y peuvent rien, nous sommes bel et bien devant une politique où l’autoritarisme et l’arbitraire sont les outils de gouvernance privilégiés. Si cette politique persiste, elle va neutraliser les bonnes volontés de part et d’autre. Le pouvoir est le seul responsable.


 RM : C’est un retour définitif au parti unique ?

O. S : Rien n’est définitif, même le cours des processus positifs qui paraissent incontestables. En politique, encore plus. Sauf à prendre le risque d’assumer des dérives dangereuses, on ne peut pas durablement sponsoriser une politique contraire à l’histoire. La responsabilité et l’honneur consistent à accompagner la volonté d’émancipation de son peuple à défaut de l’avoir suscitée et encouragée.    

Entretien réalisé par: M. Iouanoughene