Une fois installé au pouvoir en avril 1999 avec le soutien de l’armée, Abdelaziz Bouteflika a rapidement lancé son fameux “je ne veux pas être un ¾ de président”. Le message était adressé aux parrains de l’époque. Bouteflika, qui voyageait beaucoup à l’étranger, a ainsi entamé sa petite guérilla au sein du régime pour élargir sa marge de manoeuvre. Son modèle, en terme de pouvoir et non pas en terme de politique sociale – étant celui de Houari Boumediene, c’est donc vers la concentration du pouvoir qu’il s’oriente.
La formation du gouvernement va être sa première partie de bras de fer où il jouera largement sur les nerfs des parrains de l’époque. Mais c’est aussi l’expression d’une méfiance: après une longue absence, Bouteflika ne connaît pas le personnel en place.
Le premier gouvernement sous Bouteflika, dirigé par Ahmed Benbitour, n’entrera en fonction que le 23 décembre 1999. Neuf mois! Et Benbitour restera tout juste neuf mois avant de démissionner le 26 août 2000 pour protester contre la mise en place, au niveau de la présidence, d’un quasi-gouvernement parallèle formé de conseillers, qui empiètent ouvertement sur les prérogatives du chef du gouvernement. Benbitour protestait contre la remise en cause d’une tradition instituée par Chadli Bendjedid de laisser la chose économique au chef du gouvernement.
La quête obsessionnelle du 4/4 de président
Bouteflika dans sa quête obsessionnelle des 4/4 du pouvoir “a commencé par récuser l’idée même, contenue dans la Constitution, d’un Chef de gouvernement responsable devant la représentation nationale. Il rejetait par conséquent l’idée d’un parlement pouvant réellement contrôler l’action de l’exécutif. Et surtout, Bouteflika va oeuvrer à élargir – jusqu’à l’absurde diront certains – le champ du chef de l’Etat dans le pouvoir de nommer et de mettre fin aux fonctions au sein de l’Etat.
L’un des premiers actes de Bouteflika été l’abrogation, le 27 octobre 1999, du décret présidentiel n°89-44 du 10 avril 1989 relatif à la nomination aux emplois civils et militaires de l’Etat. Ce décret avait été promulgué dans la foulée des réformes engagées après Octobre 1988.
La Constitution du 23 février 1989 instituait un véritable chef de gouvernement, émanation du parlement et responsable devant lui. En toute logique, Chadli Bendjedid décidait de déléguer largement les prérogatives au gouvernement y compris en matière de pouvoir de nomination. Ce décret a été promulgué alors que Kasdi Merbah était à la tête du gouvernement et il n’était pas considéré comme un proche du président.
Tout le monde passe par Bouteflika même les SG des communes!
Bouteflika promulgue le même jour un nouveau décret-présidentiel (n°99-240 du 27 octobre 1999 relatif à la nomination aux emplois civils et militaires de l’Etat). Pratiquement toutes les fonctions au sein de l’Etat, la dernière citée étant celle des secrétaires généraux des communes des chefs lieux de wilayas, sont soumises à un décret présidentiel.
La Constitution algérienne consacre une organisation formelle des pouvoirs qui dote le président de la république de pouvoirs de monarque absolu. En élargissant au maximum la dépendance des carrières à la signature du chef de l’Etat, Bouteflika renforçait, y compris en se contentant de ne pas signer, le poids de la présidence dans les jeux de pouvoir en Algérie. Cet élargissement va lui permettre de mettre en place ce que d’aucuns appellent la “primauté de l’allégeance sur la compétence” et de créer son propre clan.
“Joumhouriya machi mamlaka”
Abdelmadjid Tebboune revient, avec le nouveau décret promulgué dimanche, au principe de la délégation mis en oeuvre par Chadli Bendjedid. Le Premier ministre reprend en effet le pouvoir de nomination pour les directeurs d’études, les directeurs, les chargés d’études et de synthèse. Au niveau des administrations centrales, le Premier ministre peut désormais nommer, les sous-directeurs, les chefs d’études. Au niveau de l’administration territoriale, le Premier ministre disposera du pouvoir de nommer “les responsables des services extérieurs de l’État aux niveaux régional et local, les emplois classés fonctions supérieures des wilayas et des circonscriptions administratives, à l’exclusion des walis, walis délégués, secrétaires généraux de wilayas et chefs de daïras ».
Ces mesures de délégation restent modestes mais relèvent du bon sens. L’élargissement de l’exigence d’un décret présidentiel pour l’ensemble des fonctions donne certes un pouvoir supplémentaire au chef de l’Etat mais il entraîne une rigidité considérable dans le fonctionnement de l’Etat. Dans le cas de Bouteflika en état “d’absence” depuis au moins 2013, ce pouvoir de nomination n’a fait qu’accentuer le phénomène de gestion informelle de l’Etat.
La délégation du pouvoir de nomination prévue par le décret de Abdelmadjid Tebboune donne plus de marge d’action au Premier ministre. Mais sur le fond, la pratique consacrée par Abdelaziz Bouteflika et les dérives qui ont vidé les institutions de leur sens, renvoient aux pouvoirs exorbitants accordés par la Constitution au chef de l’Etat. Le slogan du hirak “joumhouriya machi mamlaka” est pertinent dans ce domaine. C’est bien la république des citoyens qu’il faut instaurer. C’est pour cela que les Algériens marchent depuis un an.