Les autorités algériennes refoulent la tunisienne Yosra Frawes qui occupe un poste de responsabilité au sein de la Fédération internationale pour les droits humain (FIDH). La militante devait participer à une rencontre sur les droits des femmes à Oran.
Après plusieurs heures de détention et d’ « interrogatoires informels » par la police de l’aéroport d’Alger, la militante a été orientée vers un vol en direction de Tunis. Elle est «interdite d’entrée en Algérie ». Une interdiction qui l’a « bousculée émotionnellement » et au sujet de laquelle elle a publié un long témoignage.
Dans son témoignage, elle raconte que ses problèmes ont commencé dès son arrivée à la police des frontières (PAF). Après vérification ordinaire de ses documents, un problème a été « détecté ». Une policière lui demande de ne plus utiliser son téléphone et de la suivre.
Ainsi, Yosra Frawes, comprend que la militante qu’elle est, ne serait pas « la bienvenue en Algérie ». Ses soupçons sont vite confirmés puisque le premier policier qui a vérifié ses papiers lui annonce « prévenez ceux qui vous ont invitée, vous êtes interdite d’entrer en Algérie».
« Je l’avais deviné et pourtant à l’apprendre, j’ai les larmes aux yeux : un autre pays de la région s’ajoute à ceux où je ne peux me rendre. Guerre, occupation et maintenant l’Algérie pour d’autres raisons politiques, évidemment » écrit la militante dans son témoignage.
« Je pleure parce que c’est l’Algérie, la 25ème Wilaya de la Tunisie, notre grande sœur comme l’aiment à l’appeler les Tunisiens. J’avais visité l’Algérie en 2000, je l’avais sillonnée en train, et on m’avait alors traité de folle. Le pays sortait à peine de longues années de violence, le sang qui y avait coulé à peine séché. Mais ce fut l’un des plus beaux voyages de ma vie. Je voyais enfin ce pays, et les ponts suspendus de Constantine dont j’avais tant rêvé en lisant Ahlem Mostaghanmi » a-t-elle ajouté.
La seconde fois où la défenseuse des droits humains est revenue en Algérie remonte à 2019 lors du mouvement populaire (Hirak) du 22 févier 2019. Elle soupçonne que c’est la raison de son interdiction de renter en Algérie mais ce qu’elle pense ne va être ni confirmé ni infirmé.
« J’y étais retournée, en mars 2019, soutenir le Hirak, avec Khadija Cherif, Messoud Romdhani, Soukaina Abdessmad et Jamel Msallem, Émerveillée par la pugnacité des jeunes algériens révoltés, leur humour et leur créativité. J’avais continué à les soutenir et à m’associer à leur critique d’un régime de plus en plus répressif et féroce à leur égard », raconte Yosra Frawes.
Selon elle, « au bout d’environ une vingtaine de minutes d’attente, cinq policiers dont deux en civil s’approchent d’elle pour un interrogatoire qui ne dit pas son nom ». Ils veulent savoir quel est le problème de la militante ; « Madame, qu’est ce qui se passe ? », « Il doit y avoir une raison. Laquelle selon vous ? », demandent les policiers. Des questions qui ont énervé la passagère. « Je commence à m’énerver, je hausse le ton en répondant : « je ne le sais pas, si vous voulez le savoir, posez donc la question à celui qui a pris cette décision », a-t-elle répondu avant qu’elle ne soit calmée par l’un des agents de police qui pose la question avec plus de précision ; « Calmez-vous Madame, je vous le dis sincèrement et j’essaie de comprendre parce qu’on m’a dit que vous venez souvent en Algérie. Alors dites-moi, qu’avez-vous fait au juste la dernière fois que vous êtes venue et qui avez-vous rencontré ? ».
Un autre policier pour un autre interrogatoire « informel » vient à son tour poser ses questions d’une manière plus souple selon le témoignage de Yosra Frawes. « On m’a dit que vous êtes stressée, alors je viens vous tenir compagnie. Il ne s’agit pas d’un interrogatoire car si c’était le cas on vous mettrait dans un bureau pour vous questionner de manière formelle. Je vous parle à titre personnel et j’aimerais vraiment comprendre quel est votre problème » s’exprime le policier.
Cette fois la militante répond à quelques questions. « Je lui dis ma profession et la raison de ma venue en Algérie. Le policier pose beaucoup de questions, il veut des détails, précis, sur la rencontre prévue, les personnes qui m’ont invitée. Je dis: « Une rencontre sur les droits des femmes en Algérie. Je ne connais pas les participantes, je suis invitée par une fondation allemande avec qui j’ai l’habitude de travailler en Tunisie ». L’une des rares organisations internationales qui continue, contre vents et marées, à mener quelques actions en Algérie » répond madame Frawes mais le policier veut plus de détails et demande selon elle le programme de la rencontre.
« Je n’hésite pas à lui dire mon soutien au Hirak. A quoi bon cacher ce qu’ils doivent déjà savoir. Toute à mes souvenirs, je lui parle avec enthousiasme de ma rencontre avec la grande Djamila Bouhired, ce jour de la marche du Hirak, en mars 2019, j’étais à ses côtés à la Grande poste d’Alger. Je lui raconte comment les gens se bousculaient juste pour la toucher, comme on le fait avec une sainte » a-t-elle ajouté.
Le policier la rassure alors «il s’agit certainement que d’une erreur du système informatique qui a été renouvelé à l’occasion du Sommet de la Ligue arabe », mais le problème n’était pas une simple erreur puisqu’après plusieurs heures de « détention » à l’aéroport un nouveau policier l’informe qu’elle doit rebrousser chemin et qu’elle avait un vol vers Tunis. « Vous allez donc vous débarrasser de moi, vous allez me refouler ? » s’exclame la militante qui ne constate aucune réaction à son « malheur ».