La Dernière Reine, de Damien Ounouri et Adila Bendimerad (Algérie, France, Taiwan, 2022), avec Adila Bendimerad, Dali Benssalah, Mohamed Tahar Zaoui, Imen Noel, Nadia Tereszkiewicz.
Le choix de la période est judicieux. Le film se passe sous les moments ultimes du règne du dernier roi d’Alger, Salim at-Toumi (Mohamed Tahar Zaoui), chef de la tribu des Thaâliba, qui régna sous l’allégeance des riches marchands d’Alger . La ville vivait sous la pression des espagnols qui occupaient le Pegnon et contrôlaient tous le flux maritime de Dzair. Les espagnols, qui venaient de conquérir l’Amérique et de chasser tous les musulmans d’Andalousie étaient au début de leur puissance. Jijel, grâce aux frères Barberousse est arrachée aux espagnols et à Béjaia, Aroudj (Dali Benssalah) perd le bras et échoue à libérer la ville. L’aristocratie marchande va pousser le roi Salim à faire appel aux frères Barberousse et à leurs corsaires pour aider à chasser les espagnols. C’est le début de la régence d’Alger ou de la longue période du règne des janissaires. Le film est allé chercher une histoire dans un période anté-coloniale, avant l’occupation turque et longtemps avant la colonisation française. L’époque choisie met en valeur la dimension indépendante d’une ville marchande, Djazaïr Bani Mezghenna dirigée par celui qui est considéré comme le dernier roi autochtone de ce pays.
Le titre du film est comme en contrepoint. Au-delà de la présence écrasante de Adila Bendimerad qui apparait dans presque tous les plans du film, la Dernière Reine est donnée comme la partie positive d’une histoire qui raconte les derniers moments d’une ville indépendante, gouvernée par les siens et qui vivait selon ce qui serait la pure tradition de la culture arabo berbère héritée des empires maghrébins mais qui vivotait dans des petits royaumes étroits et sans grande puissance. L’arabe parlé est le dialectal, l’écriture est le caractère maghrébin, les décors et les costumes tiennent de la même veine et tout le film joue sur cette identité syncrétique amazighe, arabe et musulmane.
De ce point de vue, le film fait durer les moments de nostalgie d’une vie algéroise où les moments de fête sont marqués par le luxe et la volupté. La scène de la dégustation du sorbet ou encore du plongeon dans le bassin sont significatifs d’une insolence féminine, encore enfermée dans le harem mais qui ne demande qu’à s’exprimer en public. C’est une des grandes facettes de Zafira, la seconde épouse du roi, d’abord jeune reine insouciante, enjouée et dont l’objectif est de reconquérir les grâces de son époux, puis sa transformation en souveraine reconnue, portée par le peuple d’Alger dans sa reconquête du trône perdu par un Salim Toumi qui s’était révélé incapable de tenir son rang face à Aroudj.
La perspicace et politique première épouse, Chegga, magnifiquement jouée par Imen Noël, lui avait fait allusion aux calculs du corsaire turc. Le sort de la ville va être confié aux deux reines, coépouses de Salim qui vont finalement mourir, en héroïnes guerrières, pour défendre Alger, désormais entre les mains de Arroudj et de ses corsaires. La première, quitte Alger dès l’assassinat de Salim et tente de lever une armée pour reprendre la ville, pendant que Zafira choisit de rester dans son palais pour faire face à Aroudj qui projette l’épouser et de s’emparer du pouvoir. Le troisième personnage féminin est Astrid (Nadia Tereszkiewicz), la maitresse de Aroudj, une esclave scandinave, affranchie et convertie à l’islam et que Zafira va tuer d’un coup de couteau dans la gorge.
Le film est audacieux parce qu’il ose des scènes plutôt nouvelles dans le cinéma algérien tant elles jettent un grand trouble dans la salle. Celle où Zafira, qui s’endort en attendant la visite de son époux, fait un rêve prémonitoire au moment où ce dernier se fait tuer dans son hammam porte une forte charge de douce et tendre complicité, que vient briser l’image du roi égorgé.
La scène où elle se fait enlever par Aroudj à cheval est autrement plus forte. Soulevée par Arouj à cheval, pendant qu’elle fuyait devant ses frères, cherchant à venger leur ainé, Mohcen, tué par Zafira au moment où il est venu lui arracher son fils Yahya pour l’emmener à Miliana, ville d’origine de la reine. Zafira, qui a accepté la demande en mariage du corsaire pour sauver le trône, a un échange d’éloquence savante et de gestes intimes d’une immense sensualité. La scène montre la rencontre entre les deux principales forces du film. Aroudj, véritablement séduit par la résistance de Zafira et par sa beauté, semble s’humaniser tandis que la Reine veuve apparait au sommet de sa force et arrive au niveau de Aroudj en désir de régner.
Malgré des moyens plutôt réduits et un montage financier qui a duré plusieurs années, Damien Ounouri et Adila Bendimerad ont osé des scènes de « reconstitution » de batailles sanglantes sur le littoral algérois, de la vie au Palais de la Jenina et à la Casbah, dans des costumes d’époque, de la visite en palanquin au mausolée de Sidi Abderahmane pour le 40e jour de la mort du Roi Salim et de bien d’autres scènes qui valorisent l’histoire de la ville Alger dont l’histoire officielle a toujours peu évoqué.
En effet, la dernière Reine est une représentation de la vie à Alger au début du XVI eme siècle, qui au-delà de l’histoire probablement romancée de Zafira, montre quelle ville puissante, elle a été et ce avant la Régence. C’est aussi et surtout une histoire de femmes, maintenues en marge du pouvoir, et qui se révoltent au point d’en mourir. Les trois personnages féminins, au destin tragique, meurent tous d’un coup de couteau, ce qui illustre parfaitement leur refus du monde qui leur est donné et contre lequel elles ont lutté au point de tout perdre.
S. M