Procès Amira Bouraoui : "Beaucoup de bruit pour un non événement" - Radio M

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Procès Amira Bouraoui : « Beaucoup de bruit pour un non événement »

Radio M | 01/11/23 21:11

Procès Amira Bouraoui : « Beaucoup de bruit pour un non événement »

Huit mois après la sortie illégale du pays de la militante Amira Bouraoui, le procès des cinq inculpés dans cette affaire, dont le journaliste Mustapha Bendjama, a finalement eu lieu ce 31 octobre 2023 au pôle pénal spécialisé près le tribunal de Constantine. Compte rendu.

Mustapha Bendjama, journaliste, Djamel Miassi, chauffeur de taxi, Yacine Bentayeb, cousin d’Amira Bouraoui, Khadidja Bouraoui, mère d’Amira Bouraoui, sont poursuivis pour « participation à émigration clandestine » en lien avec la sortie illégale de la militante Amira Bouraoui du pays, début février 2023. Sous ISTN arbitraire depuis 2021, Amira Bouraoui est partie de la ville d’Annaba vers Tunis à bord d’un taxi collectif en utilisant le passeport de sa mère. Etant sur le point d’être extradée de Tunis, le 6 février, elle a fini par atterrir le soir même en France avec l’aide des services diplomatiques français. En plus de sa nationalité algérienne, Amira Bouraoui détient aussi la nationalité française. Son départ a provoqué une crise diplomatique entre Alger et Paris et s’en est suivi par l’incarcération de plusieurs personnes.

La version des faits selon les inculpés

Lors de l’audience du procès, les inculpés ont nié avoir aidé de près ou de loin Amira Bouraoui à quitter le pays. Premier à avoir été appelé à la barre, le cousin d’Amira Bouraoui, Yacine Bentayeb, a déclaré avoir rendu service à sa tante Khadidja Bouraoui, qui lui avait demandé de déposer sa cousine à la gare des taxis et de lui trouver une place dans un taxi collectif. « Si j’avais l’intention de l’aider à s’enfuir, je me serais caché et je ne l’aurais pas déposé sous les caméras de surveillance de la gare des taxis », a-t-il indiqué au juge.

Khadidja Bourdjiba, mère d’Amira Bouraoui, sous contrôle judiciaire depuis le 19 février, avait déclaré que son neveu Yacine Bentayeb n’était pas au courant qu’Amira allait partir d’une manière illégale, qu’elle avait découvert la perte de son passeport après le départ de sa fille et qu’elle avait déposé une déclaration de perte.

Le chauffeur de Taxi, Djamel Miassi avait déclaré qu’un autre chauffeur de taxi l’avait appelé pour lui proposer deux clientes à emmener en Tunisie. Il a affirmé que ni Yacine Bentayeb ni Amira Bouraoui ne l’avaient contacté. Une fois au poste d’Oum Teboul, aucune des deux femmes n’est descendue du véhicule pour la vérification des identités. « Je me suis chargé moi-même avec l’époux de la deuxième passagère de montrer les passeports aux services de la PAF », a-t-il déclaré.  

Djamel Miassi a assuré ne pas connaitre Amira Bouraoui.  » La femme, que j’ai emmenée en Tunisie, paraissait âgée. Elle portait un foulard sur la tête et de grosses lunettes », a-t-il affirmé. Yacine Bentayeb a, de son côté, affirmé que sa cousine portait un manteau et n’avait pas de voile sur la tête lorsqu’il l’avait déposée à la gare.

L’officier de la PAF, Tikida Ali, a déclaré qu’il y avait beaucoup de pression, ce jour-là, sur le poste d’Oum Teboul. Il a assuré que Khadidja Bouraoui s’était présentée devant lui pour la vérification d’identité. « J’aurai reconnu Amira Bouraoui, même si elle s’était déguisée », a-t-il affirmé. Le juge et la représentante du ministère public ont relevé des contradictions dans les déclarations de Tikida Ali. Selon eux, il avait déclaré devant le juge d’instruction que l’appareil de vérification des empreintes était en panne, mais pendant l’audience qu’il ne se rappelait pas pourquoi il n’avait pas pris les empreintes digitales de Khadidja Bouraoui.

Pourquoi Bendjama est-il dans le dossier ?

Mustapha Bendjama, journaliste et rédacteur en chef du quotidien Le Provincial est le premier à avoir été inculpé dans cette affaire, le 8 février 2023. C’est aussi la personne qui a été maintenue le plus longtemps en garde à vue. Il a passé dix jours à la section de recherches de la brigade de la gendarmerie d’Al Hattab à Annaba. En grève de la faim depuis le 3 octobre, il était presque méconnaissable. Il paraissait pâle et affaibli avec une douzaine de kilos en moins. On lui reproche d’avoir contacté Amira Bouraoui deux semaines avant son départ pour demander des nouvelles sur son état de santé, et avoir fait une publication sur les réseaux sociaux, le 6 février 2023, pour informer l’opinion publique qu’Amira Bouraoui était sur le point d’être extradée de Tunis vers Alger.

Mustapha Bendjama n’a pas caché ses liens d’amitié avec A. Bouraoui qu’il connait depuis trois ans. Il a aussi déclaré que la seule fois où elle lui avait fait part de son intention de quitter le pays remontait à un an et demi et qu’il avait tenté de la dissuader. « J’ai appris qu’Amira a quitté le pays par le biais du réalisateur Bachir Drais. Ce dernier m’avait d’abord appelé le 3 février pour me dire qu’il avait une mauvaise nouvelle à m’annoncer et qu’il allait me rappeler le dimanche ou le lundi pour me dire de quoi il s’agissait », a indiqué Mustapha Bendjama. « Je l’ai rappelé le samedi 4 février et c’est là qu’il m’avait informé qu’Amira Bouraoui était en garde à vue en Tunisie », a-t-il ajouté.

M. Bendjama avait aussi expliqué qu’il avait continué à s’intéresser à cette affaire pour écrire des articles dans le cadre de son travail de journaliste :

« J’ai publié un article à propos de ce sujet sur le site d’information Interlignes, le 6 février, et entamé un autre le 8 février mais que je n’ai pas terminé, car ils sont venus m’arrêter », a-t-il expliqué.

« Si je pouvais aider Amira Bouraoui à quitter le pays, je serais sorti moi-même.  Je suis sous ISTN arbitraire »

Mustapha Bendjama, journaliste

La défense a souligné le fait que leurs clients n’avaient aucun lien avec la sortie de A. Bouraoui du pays. « Dj. Miassi est un chauffeur de taxi. Il n’a ni la responsabilité ni l’habilité de vérifier si Amira Bouraoui s’était déguisée », a indiqué l’avocat de Djamel Miassi.

Les avocats de la défense de Mustapha Bendjama ont pointé l’absence de fait et de preuves inculpant M. Bendjama. « On se demande quel rôle a joué Mustapha Bendjama dans la sortie d’Amira Bouraoui du pays ? Comment l’a-t-il aidé ? », a demandé Me Moumen Chadi.

 « J’ai entendu M. Bendjama dire pendant cette audience qu’il a envie de partir. Est-ce que, si demain, il quitte le pays, on sera, tous ici présents, poursuivis en justice parce qu’on l’a entendu le dire ? », a demandé Me Said Zahi.

« Mustapha Bendjama n’a aucun lien avec l’affaire Bouraoui, ni de près ni de loin. Et je le dis avec une profonde conviction », a assuré de son côté Me Amor Alla.

« Tous les accusés ont eu un lien matériel avec elle sauf M. Bendjama, dont le lien est immatériel. Et il n’a, à aucun moment, caché le fait qu’ils soient amis», a-t-il ajouté.

Une violation flagrante du code des procédures pénales 

« Cela fait trente ans que je pratique le droit et je n’ai jamais vu un dossier pareil sur le plan des procédures ! »

Me Abdallah Haboul

Me Abdallah Haboul a relevé les vices de procédures dans cette affaire. Il a commencé sa plaidoirie par rappeler que dans l’enquête judiciaire le juge doit se baser sur des preuves. Or, dans ce dossier, il n’y en a pas. « Pour justifier la garde à vue de Mustapha Bendjama, la section de recherches de la gendarmerie avait d’abord qualifié les faits « d’intelligence avec des espions de pays étrangers dans le but de porter atteinte au centre diplomatique algérien, usurpation d’identité, etc », a déclaré l’avocat.

Selon le même avocat, les services régionaux de la police judiciaire de la DGSI de Constantine se sont emparés de l’enquête, qui était déjà ouverte par la section de recherches de la gendarmerie d’Annaba sans instruction du parquet du pôle pénal spécialisé de Constantine.

« Comment se fait-il que l’enquête préliminaire soit ouverte par la section de recherches de la gendarmerie et que les inculpés soient remis aux services régionaux de l’enquête judiciaire de la DGSI de Constantine ? Ces derniers, sont-ils au-dessus de la section de recherches ? », s’est-il interrogé.

« Le seul à avoir été entendu, c’est le chauffeur de taxi, Djamel Miassi. Ensuite, ils ont fait une synthèse. Est-ce que cela est permis ? », poursuit Me Haboul.

L’avocat a dénoncé une violation d’une « extrême gravité » : « Le procureur est resté en marge de l’enquête. C’est une violation flagrante de l’article 12 du code des procédures pénales », a-t-il indiqué.

Un lourd réquisitoire

Le parquet a requis une peine de trois ans d’emprisonnement assortie d’une amende de 300 000 dinars à l’encontre de Mustapha Bendjama, Khadidja Bouraoui, Djamel Miassi et Yacine Bentayeb.

Il a requis une peine de cinq ans d’emprisonnement assortie d’une amende de 500 000 dinars contre Tikida Ali, et une peine de dix ans d’emprisonnement assortie d’une amende d’un million de dinars contre Amira Bouraoui avec le maintien du mandat d’arrêt international émis à son encontre pour usurpation d’identité et sortie illégale du pays.

La décision sera rendue le 7 novembre prochain.