Amar Belhimer, ministre de la communication, a cité un passage de mon article appelant à suspendre les manifestations populaires en raison des risques du Coronavirus. Cela ne me gêne absolument pas que mon message en direction des militants et des citoyens qui ont investi avec constance l’espace public pour exiger pacifiquement la citoyenneté et les libertés soit apprécié par le ministre.
Je l’ai fait par conviction et dans un esprit de responsabilité et je le ferai à chaque fois que cela sera nécessaire. Que le ministre Amar Belhimer partage cela n’est pas surprenant. Il peut arriver que deux personnes n’ayant pas la même vision des choses trouvent occasionnellement des convergences. Ainsi, même cassée, une montre donne l’heure exacte deux fois par jour…
J’aurais toutefois aimé que la lecture du ministre ne soit pas dans cette tradition éculée qui consiste à ne lire dans le Coran que le bout de phrase « Un grand châtiment attend ceux qui font la prière » tout en s’abstenant de lire la suite. Autrement dit, c’est tout mon message concernant le Hirak, sa légitimité et ses raisons que le ministre aurait dû endosser aussi.
Je sais que M. Belhimer fait de la politique, moi aussi, je ne suis pas que journaliste, je suis citoyen, j’ai des opinions. Et comme lui, je ne suis pas naïf. Je n’apprécie pas du tout que cet appel à la raison, comme il dit, soit utilisé dans le sens déraisonnable de criminalisation de “certains courants politiques” qui auraient prétendument “parasité” le Hirak.
Cela, Monsieur Belhimer, n’est pas un discours de raison, cela fait partie de la propagande classique du régime qui consiste à marteler constamment que les opposants complotent, que le Hirak est un complot même si l’on fait mine de concéder qu’il a été “bon Hirak” à un moment donné mais qu’il serait devenu “mauvais” à un autre. J’ai dit lors d’une émission sur Radio M que vous étiez un homme d’intelligence, je continue à le penser. Mais n’insultez pas la mienne, ni celles des citoyens.
Puisque vous me créditez d’être une voix de raison, j’en profite donc pour vous dire, clairement et sans détour, que faire de la politique n’est pas une maladie honteuse, ni un acte antinational. Le suggérer est contre la raison, contre le bon sens. Le fait que la politique – hors des simulacres organisés par le régime – ait été bannie ne signifie pas qu’elle soit une maladie ou un crime.
Vous le savez, vous faites de la politique vous-même et depuis longtemps. Il y a des courants politiques divers dans la société et dans le Hirak, des jeunes commencent, pour le plus grand bien de notre pays, à s’engager en politique. Certains sont arrêtés et mis en prison sous l’absurde accusation “d’atteinte à l’unité nationale”. Au moment où j’écris ces lignes, j’apprends que l’étudiant Imad Dahmane, un jeune concitoyen très attachant et qui n’a nul besoin de prouver qu’il aime son pays, a été placé sous contrôle judiciaire. Cela n’est pas de la RAISON ! Sauf si on a une vision policière de la société, la politique n’a rien d’une hérésie.
La diversité sociale et politique du Hirak, sa mixité, en font un mouvement de fond. Il n’y a pas de complot dans le Hirak. Il y a un socle commun aux Algériens qui sortent depuis le 22 février, qui s’arrêtent parfois ou reviennent, c’est celui de la défense des libertés, des droits des citoyens et de l’indépendance de la justice. Ces exigences font partie de la “voix de la raison” du Hirak que le pouvoir ne veut pas entendre.
Arrêter les marches aujourd’hui est raisonnable. Continuer à nier que ce pays est gros d’une volonté de changement n’est pas raisonnable. Et vous êtes dans un gouvernement qui n’envoie pas de signaux qui montreraient que ce message impérieux du pays a été compris ou entendu. Les médias dont vous êtes formellement le ministre de tutelle continuent d’être verrouillés et à faire de la propagande.
Le Hirak ne fait pas de “surplace”, c’est le régime qui fait le dos rond pour refuser d’écouter ce formidable appel à la raison que le Hirak ne cesse d’envoyer. C’est cette voix collective de la raison qui est digne d’être entendue. L’épidémie qui menace est une épreuve qui oblige à faire des choix difficiles. Et ces choix ne sauraient signifier que le Hirak et ses revendications sont une erreur ou une déraison.
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