Le Ministère de la communication s’est fendu d’une explication dans l’air du temps pour justifier la censure brutale qui frappe « Radio M » et « Maghreb Emergent ». Intervenant après la publication d’une opinion très critique à l’égard de l’Exécutif mis en place après le 12 décembre 2019, ce Ministère censé encourager le développement de la presse nationale accuse la Société propriétaire des deux publications de financement par « le soft power étranger, bras armé culturel et médiatique de diplomaties étrangères« .
Tout être humain partageant la même structure logique devrait lire ce message subliminal : cette opinion critique envers le pouvoir n’est pas sans lien avec « une addition de fonds issus éventuellement d’une collecte publique organisée dans le cadre… de dons en provenance de l’étranger ». « Éventuellement », le Ministère n’en est pas sûr mais du soupçon à la certitude, il n’y a qu’un pas déjà franchi puisque la sanction précède le jugement. Il n’est pas nécessaire de s’attarder ici sur les violations de la liberté de la presse depuis l’Indépendance. Il suffit de rappeler qu’au classement mondial de la liberté de la presse, l’Algérie est classée à la 141ème place. Pour s’en tenir à la terminologie du Ministère de la communication, on peut retenir qu’à côté des exactions, répression et contraintes réglementaires, dirigées contre la liberté de la presse, le pouvoir a usé d’un « soft power ».
Les subventions et la publicité d’Etat
Depuis 1989 et l’avènement du multipartisme, la presse nationale est sortie du cadre étroit des publications étatiques. La presse privée occupe en apparence une place prépondérante. Pour autant représente-t-elle correctement les opinions présentes dans la Société civile ? Cela n’est pas vérifié. Mais par le jeu des subventions directes et indirectes (fortes dettes impayées aux entreprises d’impression de l’État) et la publicité des organismes d’Etat, les autorités ont habilement contrôlé la configuration du paysage médiatique. C’est là que réside le « soft power » de l’Etat. Le Ministère de la communication est chargé de piloter cette stratégie. Il est souvent fait appel à un ancien journaliste de l’opposition pour faciliter le contact dans les milieux médiatiques. En cette période de recours plus fréquent aux exactions contre la presse et les journalistes, l’invocation du financement étranger est un écran de fumée. En effet, l’interdiction de bénéficier de dons étrangers énoncée dans une des lois relatives à la presse vise à maintenir la presse algérienne sous la dépendance de l’État. La deuxième mesure allant dans le même sens, c’est la barrière dressée devant les investisseurs nationaux pour leur participation financière à la création de journaux. Ce sont là deux mesures qui doivent pousser la presse algérienne à quémander subventions et publicité de l’État et donc à s’exposer aux pressions politiques. Ces conditionnalités du financement de la presse nationale qui entretiennent un sentiment xénophobe (financement étranger donc suspect) et une méfiance vis-à-vis des entrepreneurs nationaux (un anticapitalisme de façade) ne sont évidemment que poudre aux yeux. Ces conditionnalités instaurent une tutelle autoritaire de l’État sur la presse nationale. C’est là le véritable rôle du Ministère de la communication qui absorbe des ressources sans que son existence soit dans tous les cas profitable à la liberté de la presse. La focalisation sur le financement de la presse est en même temps une vraie diversion.
Le retour aux lecteurs, auditeurs et téléspectateurs
Cette conception à l’autoritarisme certain considère les lecteurs algériens comme des mineurs incapables de faire des choix et de constituer ainsi le véritable critère de l’existence et de la pérennité d’une publication. En effet, c’est aux lecteurs, auditeurs et téléspectateurs algériens de « voter » quotidiennement et d’élire les médias dignes de continuer à composer le paysage médiatique national. C’est ce « vote » par le lectorat et l’audience qui permet d’attirer la publicité des sociétés commerciales. La main mise de l’État sur la publicité publique découle de la gestion administrative des entreprises nationales. Soustraire l’économie aux jeux du personnel politique est un impératif économique. Quand l’État exerçait son monopole sur la presse au nom du socialisme, la liberté de la presse était absente. Les ouvertures consenties même sous contrôle se sont réalisées par l’initiative privée de journalistes et d’entrepreneurs nationaux. Il est clair que le niveau de liberté de la presse se trouve dans un rapport de proportionnalité avec le niveau d’implication de l’État. « Moins d’État, plus de liberté » devrait-on dire. C’est dans un cadre où initiatives privées et associations de journalistes se conjuguent que peut se développer la liberté de la presse. Mais le dernier mot revient aux citoyens lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. C’est à eux de décider du sort de chaque organe de presse. C’est à eux de faire la chasse à la médiocrité. C’est à eux à promouvoir les meilleurs. Pour accéder au statut d’une presse de qualité et à fort tirage, la presse nationale doit aller à la conquête d’un vrai marché régi par la concurrence. Dans ce marché, les subventions et les publicités octroyées ne peuvent que fausser la concurrence et favoriser une presse médiocre qui même soutenue financièrement ne pourra survivre éternellement. Au nom de la liberté de la presse, la presse nationale ne peut considérer la subvention ou la publicité octroyée comme un dû. Que ce soit sous forme de subvention ou de publicité publique, c’est l’argent du contribuable qui finance des opinions que les citoyens ne partagent pas forcément. C’est pourquoi, une véritable liberté de la presse, soustraite aux pressions économiques et politiques de l’État, doit se « priver » de subventions et d’une publicité « distribuée ». C’est par la qualité de sa ligne éditoriale et le professionnalisme de ses journalistes que la presse nationale devra faire valoir ses lettres de noblesse et s’imposer dans le paysage médiatique. C’est aux citoyens lecteurs, auditeurs et téléspectateurs de le décider par leurs choix.