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A Kherrata, la colère toujours intacte, l’an 1 du Hirak massivement célébré

Ghada Hamrouche | 16/02/20 17:02

A Kherrata, la colère toujours intacte, l’an 1 du Hirak massivement célébré

Ils sont venus de partout ce dimanche 16 février 2020 pour fêter le premier anniversaire de la marche de Kherrata, celle qui allait déclencher le mouvement popilaire de contestation, le Hirak du 22 février, après la manifestation de Bordj Bou Arreridj. Coincée entre deux montagnes, à 60 km au Sud de Béjaia à 55 km au Nord de Sétif, Kherrata, ville rebelle, semble avoir été oubliée par « les plans » de développement. Mis à part le pont, qui permet de la contourner, la ville, pourtant historique, manque d’infrastructures touristiques, d’unités industrielles, de plan de développement agricole, de perspectives économiques. Le taux de chômage dans la région est très élevé. Que la colère contre le régime de Bouteflika ait démarré de Kherrata, cela se comprend largement. La colère est toujours intacte, dix mois après le départ de Bouteflika. « Parce que rien n’a changé ! », lance Youcef. « Le pouvoir continue d’appliquer son agenda. Les revendications du Hirak n’ont pas été satisfaites », appuie-t-il. Le ville s’est réveillée tôt ce dimanche ensoleillé pour accueillir « les hirakistes » des autres régions du pays. Ils sont venus de Sétif, de Bordj Bou Arreridj, d’Alger, de Batna, de Jijel, de Tizi Ouzou, de Constantine, de Béjaia, de Bouira et d’ailleurs. Portant le drapeau national ou l’emblème amazigh, ils affluent vers le lieu de regroupement dès 8 h du matin, à côté de la Place de la liberté où une stèle a été installée en souvenir de la marche du 16 février 2019 : deux bras dirigés vers le ciel brisant une chaîne en fer. Un symbole de la liberté retrouvée. Un petit groupe de volontaires a préparé une table avec de l’eau et de la galette pour accueillir les invités comme dans une fête. Ali Laskri, responsable du FFS, arrive entouré de ses collaborateurs. Le portait de Hocine Ait Ahmed est exhibé. « Da L’Hocine, nous sommes toujours militants », scandent des manifestants.

Passage de Lakhdar Bouregâa

La foule se concentre à côté d’une cafétéria où s’est installé l’ancien militant nationaliste Lakhdar Bouregâa. Les manifestants cherchent à immortaliser le moment en prenant des photos et en diffusant des live sur Facebook. Le moudjahid, qui a été mis en prison entre fin juin 2019 et début janvier 2020, n’est pas resté longtemps sur place, mais, selon ses proches, il a tenu à marquer de cette présence l’événement dans la ville où sont tombés des milliers de martyrs le 8 mai 1945 sous les balles de l’armée coloniale française. Il s’est attardé un moment devant la stèle de la liberté aux côtés de Samri Belarbi, autre détenu du hirak. Samir Belarbi rappelle les revendications du hirak relatives à « la rupture avec le système » et « la reconquête de l’indépendance ». Dans plusieurs pancartes et slogans, les portraits de Karim Tabou, Abdelwahab Fersaoui et Fodil Boumala sont apparus. « Pourquoi, ils les maintiennent en prison alors qu’ils ont libéré les autres. Ils ne vendent pas de la drogue que je sache, ne sont pas de voleurs. Nous n’allons pas nous taire jusqu’ils soient tous libérés », annonce un citoyen qui dit venir de loin « célébrer » l’anniversaire de la marche de Kherrata. Avant le début de la marche, des citoyens prennent la parole dans un microphone. « Nous ne devons pas faire marche arrière. Nous devons changer le système. Le train a démarré. Que cela dure deux ou trois, ça ne fait rien. L’essentiel est le changement. Moi, je suis vieux, mais je veux laisser à mes enfants un pays libre. Nous devons rester uni car ils font tout pour nous disperser », lance un intervenant, la voix coléreuse.

 « C’est le printemps ! » 

Un autre d’enchaîner : «Le peuple est conscient que l’unité est importante. Il faut rester mobilisés, vigilants. Les algériens ne demandent rien d’autre que la démocratie, revendiquent leurs droits». Selon lui, le pouvoir est soutenu par les Etats Unis, la Russie, la France, les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite. La marche commence vers 11 h lorsque trois hommes arrivent des bouquets de fleurs en main. « C’est le printemps ! », lance l’un d’eux. Les slogans habituels du hirak sont présents : « Viva l’Algérie, yetnahaw gaa », « Dawla madanie machi askaria », « les algériens khawa khawa »…  « Nous n’acceptons aucun zaïm. Le Zaïm, c’est le peuple algérien », lance un homme à voix haute. Dans certaines pancartes, des appels sont lancés pour aller vers « une période de transition et la rupture». Dans d’autres, l’exigence d’appliquer les articles 7 et 8 de la Constitution est rappelée. Des manifestants critiquent dans des slogans le président Abdelmadjid Tebboune et le ministre de la Justice Belkacem Zeghmati. Yahia Assam, militant FFS et membre de l’APW de Béjaia, estime que les algériens continuent de revendiquer leurs droits. « Des droits qui ne peuvent pas obtenir dans le cadre d’un système pareil, fermé. Aujourd’hui, il y a une nécessité de changer ce système qui, même en son intérieur, n’arrive plus à avancer. La mobilisation citoyenne est constante depuis une année avec ses faiblesses et ses moments forts. Il y a aujourd’hui le hirak revendicatif. Et, le hirak en absence de perspectives politiques visiblement. La cause ne revient pas uniquement aux citoyens, mais aussi au système et sa fermeture. Aujourd’hui, nous avons tous à gagner de le cas d’une ouverture politique  »,souligne-t-il.

Service de sécurité discret

Il souhaite une structuration politique du hirak. « Un hirak qui a restitué la rue aux citoyens. Peut être que dans une deuxième étape, il faut restituer les institutions à l’esprit du hirak. Les membres actifs du hirak devraient s’impliquer dans les prochaines élections pour restituer le pouvoir aux citoyens au niveau local », a ajouté Yahia Assam. Le soleil tapant n ’empêche pas les manifestants de continuer de marcher le long du pont de Kherrata pour faire un grand cercle et se rassembler de nouveau à la place la liberté. La marche dure trois heures encadréd par un service de sécurité discret, presque invisible. A Kherrata, il n’y a ni hélicoptère, ni fourgons de gendarmerie ou de police, ni casques bleus. Les manifestants se sont dispersés dans le calme se donnant rendez vous pour la marche du vendredi 21 février, la 53 ème depuis le début du hirak.