Le verdict du procès en opposition du journaliste Mustapha Bendjama sera rendu mercredi 12 juillet, par le tribunal correctionnel d’Annaba. Le journaliste, actuellement en détention, a été rejugé le 9 juillet dans une ancienne affaire dite du « mariage clandestin » et dans laquelle il a été condamné par contumace à un an de prison ferme.
Il s’agit d’une ancienne affaire qui remonte à la période de la COVID-19, lorsque tout le pays était soumis à des restrictions sanitaires, dont l’interdiction de se rassembler. Mustapha Bendjama est poursuivi à la suite d’une plainte déposée contre lui par le Wali d’Annaba, Djamel Eddine Berimi, pour « diffamation » et « atteinte à l’intérêt de l’État ».
On reproche au journaliste d’avoir révélé, dans une vidéo diffusée en direct sur son compte Facebook, en mars 2020, la tenue d’une fête de mariage, et écrit un article dans le quotidien régional Le Provincial, dont il est le rédacteur en chef, sur le même sujet. Le journaliste avait été condamné par contumace, en décembre 2021, à une année de prison ferme, une amende de 50.000 dinars et une somme de 200 000 dinars de dédommagement au trésor public.
« Mustapha Bendjama a créé le chaos avec ses publications«
Lors de ce procès, qui s’est tenu, par visioconférence le dimanche 9 juillet au tribunal correctionnel d’Annaba, Mustapha Bendjama a été interrogé par la juge sur « son intention » lorsqu’il avait diffusé une vidéo en directe sur son compte Facebook.
Il est à rappeler que sur cette vidéo, des citoyens scandalisés par la tenue d’une fête de mariage pendant la pandémie, critiquaient les autorités locales, dont le Wali d’Annaba pour ne pas avoir intervenu pour arrêter cette fête de mariage, qui se tenaient à la salle des fêtes « Tassili ».
« Vous avez écrit que les autorités et le Wali piétinaient la loi », a affirmé la juge. « C’est comme si c’était la police qui avait organisé cette fête de mariage », s’est-elle exclamée.
Mustapha Bendjama a nié avoir tenu ces propos. Il a expliqué qu’il s’était déplacé sur les lieux pour couvrir l’événement. « Je n’ai jamais dit cela. Il y avait un rassemblement devant la salle des fêtes « Tassili » et j’ai rapporté les propos des citoyens. Ce ne sont pas mes déclarations, mais celles des citoyens », a affirmé M. Bendjama.
La juge lui demande alors s’il avait « l’intention de porter atteinte à l’État en publiant ces déclarations ». Elle lui a demandé aussi si son objectif n’était pas « malsain » : « N’aviez-vous pas un objectif malsain en publiant cette vidéo ? Parce qu’elle met en doute le travail de la police. C’est comme pour dire que la police était au courant et ne voulait pas intervenir », a indiqué la juge.
Mustapha Bendjama lui a expliqué que le travail d’un journaliste consiste à rapporter la réalité en toute objectivité, tout en se référant à des articles de la loi organique sur l’information de 2012. « J’étais en direct. Et, je dois vous rappeler quelque chose de très important : Il y avait une loi qui interdisait les rassemblements. J’avais interpellé le Wali Annaba pour qu’il intervienne », a expliqué encore M.Bendjama.
La juge lui donne raison sur ce point : « Vous aviez raison, car il y avait un mariage pendant le Corona. Mais, les expressions utilisées…portent atteinte aux autorités ». « Vous étiez capable de ne pas faire un live. Vous auriez pu faire une publication et laisser les gens commenter », lui a-t-elle suggéré.
« Madame la présidente, il m’est interdit de censurer quiconque », a répondu Bendjama, qui est revenu encore une fois sur l’éthique tout en citant des articles de loi pour lui expliquer qu’il doit rapporter la réalité telle qu’elle.
Dans son réquisitoire, le procureur a relevé le fait que Mustapha Bendjama ne détient pas la carte du « journaliste professionnel ». Il est allé même jusqu’à dire qu’il a « créé le chaos avec ses publications ». Il a requis la même peine prononcée par contumace en décembre 2020, celle d’un an de prison ferme, une amende de 50 000 dinars. La représentante du trésor public a demandé une somme de 200 000 dinars.
« Bendjama devrait être remercié pour son travail«
Les avocats de la défense, Me Adel Messaoudi et Me Said Zahi, ont, dans leurs plaidoiries, relevé l’inconstitutionnalité des chefs d’inculpation : « notre client est poursuivi sur la base du code pénal, alors que le délit de presse, s’il y en a dans cette affaire, n’est pas puni par une peine d’emprisonnement », a indiqué Me Messaoudi, qui a cité l’article 54 de la constitution.
De son côté, Me Zahi a indiqué que ce n’est pas au parquet de poursuivre M. Bendjama en justice. Il a rappelé qu’il y a une autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) qui est sensée poursuivre les journalistes pour « diffamation ». Quant à la carte du journaliste professionnel, Me Zahi a indiqué que cela relève du ministère de la communication : « C’est au ministère de la communication de lui demander des comptes. Pensez-vous que le ministre de la communication n’est pas au courant que Mustapha Bendjama écrit dans un journal ? », s’est interrogé l’avocat.
» Mon client a évité qu’une catastrophe sanitaire se produise. Il devrait être remercié pour son travail et non pas poursuivi en justice. Mustapha a appelé le Wali à intervenir et ce dernier n’est pas intervenu avant cinq heures », a indiqué Me Saïd Zahi. « Est-ce que la police est au-dessus de la loi ? », s’interroge-t-il.
L’avocat tient tout un discours sur la séparation des pouvoirs et le rôle de la presse qui est de révéler les dépassements. » Le wali qui a poursuivi Mustapha Bendjama en justice ne représente pas une institution de l’Etat », a-t-il indiqué.
Il a rappelé que même le Conseil des ministres se tenait par visioconférence pendant la période du confinement, avant de sortir un communiqué du Wali ordonnant la fermeture de la salle des fêtes « Tassili » le lendemain de la tenue de ce mariage.
A la fin de l’audience, la juge a demandé à Mustapha Bendjama de prononcer son dernier mot. « La relaxe ou la réduction de la peine ? », a-t-elle demandé. Mais Mustapha Bendjama, qui est journaliste depuis huit ans au Provincial, a tenté d’expliquer que la carte du « journaliste professionnel » n’est pas nécessaire pour être considéré comme journaliste, citant l’article 73 de la loi organique de 2012 qui est toujours en vigueur. La juge l’interrompt, avant qu’il finisse, et annonce la date du verdict qui sera rendu le 12 juillet prochain.
A noter que Mustapha Bendjama est en détention préventive à la prison de Boussouf à Constantine, depuis le 19 février 2023, dans l’affaire « Bouraoui » et une autre affaire en lien avec un présumé « financement étranger ».
M.B.