Lors d’un colloque sur la Palestine et les droits de l’Homme à Tunis le 12 mai, le professeur de géopolitique Ali Bensaad a vertement critiqué l’emprisonnement des journalistes en Algérie, estimant que cette répression hypothèque toute crédibilité du pays à soutenir la cause palestinienne.
“Comment voulez-vous mener une bataille d’opinion quand vous mettez vos meilleures journalistes en prison ? Je pense à Ihsane El Kadi en Algérie”, a lancé Bensaad, évoquant le cas du directeur de Radio M et Maghreb Emergent, condamné à 7 ans de prison ferme en juin dernier.
“Vous croyez que c’est par les slogans de vos petits ‘ballais’ qui répètent ‘la Palestine’ et caetera que vous allez convaincre l’opinion internationale ?”, a-t-il poursuivi avec ironie, dénonçant “l’absence de liberté” et “l’autoritarisme” régnant dans les pays maghrébins.
Le géopolitologue a rappelé le rôle crucial du “soutien international” dans la lutte pour l’indépendance algérienne, quand “l’Algérie représentait la liberté, ce que représente aujourd’hui la Palestine”. “Nous sommes complices du génocide qu’il y a en Palestine”, a-t-il accusé, pointant du doigt l’hypocrisie de certains régimes réprimant les manifestations pro-palestiniennes.
“Un pays qui se prétend le plus fermement au côté de la Palestine a pourchassé ceux qui voulaient manifester après le 7 octobre”, a dénoncé Bensaad, faisant aussi référence à l’interdiction de déployer des “parapluies aux couleurs palestiniennes” lors d’un rassemblement le 8 mars. “Ne nous racontez pas d’histoires, vous ne pouvez pas soutenir la Palestine en enfermant votre propre peuple”, a-t-il conclu.
La descente aux enfers de Radio M
La répression qui s’abat sur Ihsane El Kadi, directeur de Radio M et Maghreb Emergent, symbolise la descente aux enfers que connaît ce média critique ces derniers mois.
Pour rappel, El Kadi a été arrêté chez lui dans la nuit du 23 au 24 décembre 2022 par les redoutés services de la DGSI. Dans la foulée, les locaux d’Interface Médias, la société éditrice de ses médias, ont été mis sous scellés le 24 décembre.
Depuis, c’est un véritable calvaire judiciaire qui s’est abattu sur le journaliste. Le 12 octobre 2023, la Cour suprême a rejeté ses derniers pourvois en cassation dans deux affaires distinctes le visant.
La première l’a condamné en appel en décembre 2022 à 6 mois de prison ferme et 50 000 dinars d’amende pour des chefs aussi vagues que “fausses informations” et “atteinte aux intérêts nationaux”. En cause ? Un simple billet de blog critiquant l’ex-ministre Amar Belhimer.
Mais c’est sa seconde condamnation qui illustre l’acharnement des autorités. En juin 2023, El Kadi a écopé de la lourde peine de 7 ans de prison, dont 5 ferme, pour “réception de fonds de l’étranger” et “atteinte aux institutions”.
Depuis le 29 décembre 2022, le directeur de Radio M purge donc cette peine draconienne sur la base d’articles liberticides du code pénal. Et pour quel crime? Celui d’avoir exercé son métier de journaliste.
Symptomatique de la dérive autoritaire du régime, cette affaire reflète le recul des libertés fondamentales, le pays occupant la 136e place du classement de la liberté de presse par Reporters sans frontières.