Bilan politique de Tebboune : « qui est l’ombre de qui ? » - Radio M

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Bilan politique de Tebboune : « qui est l’ombre de qui ? »

Lynda Abbou | 14/12/22 18:12

Bilan politique de Tebboune : « qui est l’ombre de qui ? »

Trois ans après son accession à la tête de l’État, après des élections caractérisées par un faible taux de participation, Abdelamdjid Tebboune ne semble toujours pas prêt à s’attaquer à la crise politique en Algérie. Manque de volonté ou difficulté ? Certainement les deux à la fois.

Hormis quelques rencontres de concertation avec des figures politiques engagées quelques semaines après son arrivée au pouvoir, le Chef de l’Etat n’a engagé aucune initiative politique ni répondu à celles nombreuses de l’opposition et de la société civile. Pire encore, sous sa direction, aidé par la crise sanitaire, le pouvoir s’est raidi un peu plus par le biais d’un arsenal de lois liberticides qui ont fait que les activistes sont traqués et les médias critiques quasiment réduits au silence.

Si l’on excepte les rares partis politiques qui le soutiennent, l’essentiel de l’opposition dresse un tableau très négatif du bilan de Tebboune.

« Qui est l’ombre de qui ? »

Interviewés par Radio M, le politologue Mohamed Hennad et le défenseur des droits humains Said Salhi sont revenus sur le bilan de ses trois ans de règne.

« Ce n’est nullement pas un quelconque déni que de dire que sur le plan politique, le bilan de trois ans de règne de Tebboune est négatif. Le modeste citoyen que je suis aurait espéré être en mesure de dire le contraire » a répondu le politologue Mohamed Hennad.

Selon lui, ce que vit le pays depuis « l’élection de M. Tebboune fait craindre le pire sur le plan de la pratique politique après que les partis politiques aient été dévitalisés, les médias caporalisés et toute activité politique, en dehors du régime, assimilée à de la subversion, voire à du terrorisme ».

Le politologue note également que « ce constat n’est absolument pas une simple fabulation mais bien un fait réel ». Car d’après lui, « le régime politique algérien est plus que jamais de nature militaire, sinon comment expliquer le verrouillage de l’espace publique qui est le sport favori des militaires ? Pourquoi toute cette présence du chef d’état-major de forces armées aux côtés du président de la république dans toutes les apparitions de celui-ci, à tel point que l’on se demande qui est l’ombre de qui d’autant que tout ce que fait et dit ce chef militaire est relayé par les médias ! ».

Une analyse partagée par le défenseur des droits humains, Said Salhi, qui estime que l’offre de « l’Algérie Nouvelle des libertés et de l’ouverture », proposée par Tebboune « s’avère après trois ans « une copie de l’ancienne (Algérie) mais en pire », puisque « le système n’arrive pas à stabiliser les institutions et à revenir à un fonctionnement normal de l’Etat ».

A cet effet, Said Salhi cite comme preuve « toutes les purges au sommet et dans les institutions », où « l’armée continue encore à occuper la scène malgré le « rétablissement » de la façade civile de l’Etat ».

 « La déficience de légitimité démocratique et populaire est criarde, nous avons prévenu que l’édification de l’Algérie Nouvelle recommande des institutions légitimes et fortes, le pouvoir a fait la sourde oreille, trois ans après, on tourne en rond, le seul programme de Tebboune c’est comment soumettre le peuple et en finir avec le Hirak et l’opposition, c’est cela qui rythme malheureusement l’actualité politique chez nous », a jouté Said Salhi.

Il souligne aussi que sur le plan politique le bilan de Tebboune est « chaotique », basé sur le « zéro politique » en faveur d’une « gestion du tout sécuritaire » sur fond de « règlements claniques » au sommet et d’une « répression implacable qui étouffe le peuple, une gestion qui, au final, a éteint toute vie politique et civique ».

« Un pouvoir traumatisé par le Hirak »

Interrogé sur l’état critique des libertés est sur d’éventuels assouplissements, le politologue Mohamed Hennad estime que « l’état des droits et libertés dans notre pays est catastrophique ». « Notre pays continue, malheureusement, de faire l’objet de nombreuses critiques internationales sérieuses ! » regrette-t-il.

Pour ce qui est des « assouplissements », le politologue trouve « que le pouvoir continue d’opérer comme suit : il fait emprisonner – injustement et en violation de sa propre constitution – des gens pour avoir osé s’exprimer contre sa politique. Puis, de temps à autre, il fait libérer un certain nombre de détenus pour convaincre de sa « magnanimité » ! Aussi, les mandats de dépôts et emprisonnements vont-ils alterner avec des libérations, au même titre que les grâces accordées aux auteurs de faits relevant du droit commun ».

Said Salhi, quant à lui, signale que le pouvoir « refuse de se déjuger, car le faire c’est changer de cap et amorcer l’ouverture démocratique revendiquée par la rue. »

D’après lui, le pouvoir algérien « sait pertinemment que s’il ouvre le champ, c’est sa légitimité qui sera contestée, le pouvoir est encore traumatisé par le Hirak, il a peur de la rue, de l’expression démocratique », Pour cela, le militant pense que le pouvoir algérien « va continuer à improviser jusqu’aux élections de 2024, et ne laissera pas le champ au peuple d’exprimer démocratiquement et librement sa volonté. »

« Le déni »

Convaincu que l’essence de la crise est d’ordre économique et financière, et que les revendications du Hirak ont été prises en charge, Abdelamdjid Tebboune fait aujourd’hui comme si la crise politique n’existe plus.

« Le comble du pouvoir actuel, l’enfant illégitime du Hirak en fait, c’est qu’il refuse d’admettre que le politique tient tout le reste en l’état. Et quand le président actuel déclare que la crise est « économique et financière » cela veut simplement dire qu’il refuse de reconnaitre l’existence d’un problème de légitimité politique à la base » explique le politologue Mohamed Hennad.

Pour ceux qui gouvernent, « il suffit de profiter de la montée des prix des hydrocarbures pour créer un certain dynamisme économique ; oubliant que l’ancien régime avait beau accumuler des centaines de milliards de dollars, ces sommes n’ont profité qu’à la « ‘issaba » à cause de son autoritarisme. Au regard de notre amère expérience avec cette « ‘issaba » justement, qui pourra nous garantir que les investissements actuels ne vont pas profiter à de nouveaux truands aux aguets ? » analyse Mohamed Hennad.

« Bien entendu, le président parie aussi sur une générosité sociale de l’État à travers, notamment, l’augmentation des salaires pour acheter la paix sociale comme on a coutume de dire, mais au vu de la cherté de la vie, combien de fois pourrait-il augmenter les salaires et pensions ? Deux, trois fois ? Il va finir par se rendre compte qu’il s’est piégé lui-même ! » a encore expliqué le politologue.

De son côté, Said Salhi soutient qu’en vue « d’acheter la paix sociale, l’état social est constamment menacé, les acquis sociaux font l’objet d’attaques continues, le pouvoir d’achat ne cesse de se détériorer, durant ces trois années, nous avons vécu des crises autour des produits alimentaires de première nécessité, ce qui démontre la fragilité du système économique et notre dépendance, le tout au détriment de notre souveraineté alimentaire, mais aussi nationale ».