En Libye, Khalifa Haftar, général à la retraite, autoproclamé chef de l’Armée nationale libyenne depuis 2015, entend conquérir Tripoli où se trouve le gouvernement d’union nationale de Faiz Al Sarraj, reconnu par la communauté internationale. Au nom de la « lutte contre le terrorisme », Haftar, 76 ans, mène des batailles autour de la capitale libyenne depuis avril 2019 sans réussir à prendre le pouvoir. « Haftar a mis les terroristes et les révolutionnaires (de 2011) pour se débarrasser des adversaires politiques », a soutenu Khaled Al Michri, président du Haut Conseil d’Etat libyen, le Parlement, né des Accords politiques de Skhirat de décembre 2017. Haftar disposerait de 25.000 hommes armés dont les deux tiers sont des miliciens libyens et étrangers. Les troupes de Haftar empêchent les médias, libyens ou étrangers, d’accéder dans les zones de guerre. Pour les observateurs, il s’agit là d’une manière de cacher la présence d’armement étrangers et de miliciens non libyens. Ancien colonel d’El Kadhafi, Haftar vivait aux Etats Unis après avoir bénéficié de la nationalité américaine. En 2011, après le début du soulèvement populaire contre le régime d’El Kadhafi, il revient en Libye pour s’installer à Tobrouk, puis à Benghazi, dans l’Est du pays. Aujourd’hui, après plusieurs voyages, négociations et échanges, il compte sur l’appui « paradoxal » de plusieurs Etats. En voici, la liste :
Les Emirats arabes unis
Les Emirats arabes unis est le principal soutien de Khalifa Haftar. En juin 2017, Aissa Al Mazrouai, adjoint du chef d’état-major de l’armée des Emirats arabes unis, a rencontré, à Benghazi,Khalifa Haftar pour marquer le soutien direct d’Abu Dhabi à ses troupes. Haftar a visité Abu Dhabi pour rencontrer les hauts dirigeants du pays. Abu Dhabi a, dès le début, ignoré le gouvernement de Faiz Al Sarraj. Selon la chaîne qatarie Al Jazeera, des experts militaires et des officiers émiratis participent, depuis au moins trois ans, aux opérations menées par les troupes de Haftar à partir de la base aérienne d’Al Kharouba, à l’Est de Benghazi. Cette base a été reconstruite grâce à des fonds émiratis. Des appareils de reconnaissance aérienne et des drones armés, venus des Emirats, assistent également aux batailles de Haftar. « Les libyens doivent se rappeler que les Emirats nous a soutenus comme un grand frère. Malgré les pressions internationales, ils toujours étaient là avec nous », a reconnu Aguila Salah Issa, président du Parlement de Tobrouk, allié de Haftar, non reconnu par la communauté internationale. Selon un rapport de l’ONU, l’assistance militaire des Emirats a permis à Haftar à contrôler au moins huit bases aériennes. Le gouvernement d’Al Sarraj a accusé Abu Dhabi d’appuyer militairement Haftar en « violant » l’embargo imposé par l’ONU depuis 2011. Khaled Al Michri a accusé publiquement Abu Dhabi de « saboter » tous « les efforts d’instaurer la démocratie dans les pays arabes ». « Nous avons trouvé sur le terrain des blindés, fraîchement débarqués en Libye, venus des Emirats », a-t-il déclaré, en avril 2019, après le début de « l’offensive » de Haftar contre Tripoli.
La Russie
Publiquement, la Russie ne soutient pas Khalifa Haftar et est favorable à « une solution politique ». Mais, sur le terrain la situation est différente. En 2016, Haftar, qui parle russe, se rend à deux reprises à Moscou. L’objectif de ce déplacement, dont l’un tenu en secret, est d’acquérir des armes. Haftar revient à Moscou en août 2017 pour demander ouvertement une aide militaire. « Nous sommes persuadés que la Russie restera un ami fidèle de la Libye et ne nous refusera pas son aide », a déclaré Haftar aux médias russes. Des médias qui présentent Haftar comme « commandant en chef de l’Armée nationale libyenne ». La presse britannique a dévoilé l’envoi de mercenaires russes du groupe privé militaire Wagner en Libye pour soutenir Haftar. En visite à Tunis, la semaine écoulée, le président turc a parlé de 2000 mercenaires russes présents en Libye. Les hommes de Wagner sont également en action en Syrie depuis des années. Wagner aurait fourni des drones, des tanks et des munitions à Haftar. « Les hommes de Wagner opèrent sous le contrôle des services de sécurité et militaires russes, et ne bougent pas sans l’aval du Kremlin », souligne Pavel Felgenhauer, rédacteur en chef de Novaya Gazeta, cité par l’Associated Press (AP). Moscou entend également défendre ses intérêts économiques en Libye en entretenant des relations avec le gouvernement Al Sarraj, lequel a évoqué la relance d’un projet de construction de chemins de fer de presque 3 milliards dollars. La Russie fournit également de grandes quantités de céréales à la Libye.
L’Egypte
L’Egypte soutient ouvertement Khalifa Haftar au nom de la « lutte contre le terrorisme ». Pour Le Caire, le gouvernement de Faiz Al Sarraj est pris en otage par les Frères musulmans. Le nom de Khaled Al Michri est souvent cité. Haftar a visité plusieurs fois Le Caire pour demander un soutien militaire et logistique de l’Egypte aux fins de combattre « les milices extrémistes » et « assurer la stabilité de la Libye ». L’Egypte évite d’engager directement des opérations militaires en territoire libyen, mais a envoyé son aviation bombardé des foyers de Daech en 2015 et 2017. Pour les spécialistes, l’Egypte, qui partage 1100 km de frontières terrestres avec son voisin, craint que la situation trouble en Libye ait des conséquences néfastes sur sa sécurité intérieure surtout avec la contrebande d’armement russes pris dans les stocks d’El Kadhafi. Selon le journal Mada Masr, Le Caire a fourni des munitions et des hommes pour appuyer les troupes de Haftar. L’Egypte entend également assurer sa sécurité énergétique future en préparant des contrats à prix favorables une fois Haftar installé au pouvoir. Stratégiquement, l’Egypte cible aussi le gros marché de la reconstruction de le Libye qui s’ouvrira une fois le pays stabilisé.
La France
La France a tenté d’organiser, en juillet 2017, une médiation entre les différentes parties libyenne en réunissant à Paris Al Sarraj et Haftar. Un accord sur un cessez-le-feu et sur l’organisation d’élections présidentielle a été signé, mais non appliqué. Le non aboutissement de l’action diplomatique n’a pas empêché Paris de soutenir Haftar. Selon RFI, Radio France Internationale, l’aide militaire française à Haftar a commencé en janvier 2016 avec l’envoi de « conseillers techniques militaires » pour appuyer les opérations antiterroristes. Un crash d’un hélicoptère français, l’été 2016, a dévoilé la présence des soldats des forces spéciales en territoire libyen. Jean Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères français, a rencontré Khalifa Haftar à Benghazi et ailleurs. Cela a été vu comme un soutien diplomatique Haftar, attitude dénoncé par des habitants de Tripoli, lors de manifestations dans la capitale libyenne, en avril 2019, après l’attaque de Haftar contre la ville. En juillet 2019, le gouvernement Al Sarraj a demandé des explications à Paris au sujet de missiles Javelin appartenant à l’armée française découverts dans un QG de Khalifa Haftar à Gharyan, non loin de Tripoli.
L’Arabie Saoudite
Ryad ne cache pas son appui à Khalifa Haftar pour presque les mêmes raisons politiques que l’Egypte et les Emirats arabes unis, ses deux alliés : la lutte contre les Frères musulmans, considérés comme des alliés de la Turquie et de Qatar. Haftar, qui a réussi à vendre l’image d’un « farouche » opposant aux islamistes, a été reçu par le Roi Salmane, en mars 2019, pour demander un appui financier et militaire quelques jours avant le lancement de l’offensive contre Tripoli. Selon un rapport de l’ONU datant de 2017, les blindés fournis par les Emirats à Haftar ont été acheminés par un navire saoudien du port de Jebel Ali (Dubai) à celui de Tobrouk. Ryad apporte un soutien diplomatique à Haftar même si officiellement il est favorable « à la stabilité de la Libye ».
Les Etats Unis
Début décembre, des conseillers en sécurité du président américain Donald Trump ont rendu une visite discrète à Khalifa Haftar pour « l’encourager » à mener un nouvelle offensive contre Tripoli qui serait « dominé par les islamistes ». Le 15 avril 2019, Donald Trump a téléphoné à Khalifa Haftar, soulignant un changement de position de Washington par rapport au conflit libyen. Le président américain, dont les options diplomatiques sont souvent imprévisibles, a évoqué avec Haftar, qui s’est attribué le titre de « maréchal », les efforts contre le terrorisme et « la nécessité de parvenir à la paix et à la stabilité en Libye ». Selon des médias américains, Donald Trump a reconnu le « rôle significatif » de Haftar dans « la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de Libye ». Trump et Haftar ont parlé aussi « d’une vision commune » pour « la transition de la Libye vers un système politique démocratique et stable ». Aucune explication n’a été donnée à cet appel téléphonique par la Maison Blanche. Début juillet 2019, les Etats Unis ont bloqué au niveau du Conseil de sécurité d’une condamnation de troupes de Haftar après un raid contre un camp de migrants qui a provoqué plusieurs morts. Haftar tente également de se rapprocher d’Israël, selon plusieurs médias, en passant par le canal des Emirats arabes unis. Pour Tel Aviv, Haftar est « un ennemi » des Frères musulman, donc du Hamas palestinien.