L’une est en apparence volubile et l’autre est taciturne. L’une a le fou rire franc et facile, l’autre a le sourire rare et effacé. Eux, ce sont Aïcha Aidaoui Soualem et Mabrouk Soualem. Parents de l’acteur Zinedine Soualem et grands-parents de la réalisatrice Lina Soualem qui s’est donnée dans Leurs Algérie, en compétition actuellement au Festival « Visions du réel », la mission difficile de recueillir leurs confidences et leurs témoignages, alors même qu’ils viennent de décider de se séparer, après plus de soixante ans de vie commune.
Tout semble donc opposer ce vieux couple mais tous deux ont en réalité bien du mal à se livrer et à se raconter. En algérien on appelle ça « l’hyya ». Mot difficile à traduire, entre pudeur, réserve et quant à soi. Auraient-ils trouvé plus facilement les mots dans leurs langues ? Auraient-ils acceptés de se laisser filmer par des étrangers ? La question ne se pose pas, tant tout le dispositif du film repose sur la volonté de mettre en image les difficultés de la transmission de la parole au sein d’une même famille.
Leur Algérie, est donc bien un documentaire intimiste dans lequel il est beau de voir la complicité de la réalisatrice avec sa grand-mère, de deviner derrière le regard parfois malicieux de son grand-père, toute l’affection qu’il porte à sa petite fille. Mais pour finir, rien ne sera dit que la réalisatrice et le spectateur ne savent et ne devinent déjà. On comprend en effet très vite que le documentaire ne révélera ni secrets de famille enfouis ni récits de vie cachés. Quelques bribes ici et là. Un mariage traditionnel arrangé. La ville de Thiers qui a besoin de main d’œuvre après la seconde guerre mondiale. Une vie de labeur en terre étrangère. Quatre enfants à élever. Les rêves de retour qui s’amenuisent. Quelques moments de bonheur. Une femme qui a beaucoup donné et qui décide de s’accorder un peu de repos et de paix.
C’est d’ailleurs en s’effaçant derrière ses grands-parents que Lina Soualem évite quelque peu le piège de la quête identitaire. Elle ne livre du voyage qu’elle fait à Laaouamer, terre natale de son grand-père que quelques photos volées. Et d’ailleurs on sent que ce voyage, elle l’a fait davantage pour son grand-père que pour elle. Elle n’encombre pas non plus son film d’une voix off qui expliquerait ses émotions ou ses sentiments. A peine dialogue-t-elle parfois avec son père Zinedine Soualem qui est celui d’ailleurs qui explique les choses avec beaucoup de simplicité. Balayant d’une phrase toutes les injonctions identitaires et les assignation à être ceci ou cela. « Pour moi, j’étais algérien, c’est tout ».
C’est d’ailleurs ce qui a de plus beau dans le travail de Lina Soualem, cette manière de dire que les choses ne sont compliquées que lorsqu’on applique aux autres des grilles de lecture et d’analyse qui leur sont étrangères. Que lorsqu’on les malmène avec des questions indiscrètes dont au fond on écoute pas les réponses. C’est parce qu’elle ne les bouscule, parce qu’elle les regarde avec tendresse et sans attendre d’eux un récit grandiloquent ou héroïque, que ses grands-parents nous révèlent non pas tant leur Algérie comme semble l’indiquer le titre, mais leur vérité, toute en pudeur.