Droits humains : Mary Lawlor dénonce le « décalage » de l'Algérie entre discours et réalité - Radio M

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Droits humains : Mary Lawlor dénonce le « décalage » de l’Algérie entre discours et réalité

Radio M | 12/12/23 12:12

Droits humains : Mary Lawlor dénonce le « décalage » de l’Algérie entre discours et réalité

« En Algérie, en matière de droits humains, il y a un décalage entre ce que dit le gouvernement et les lois qu’il fait ». C’est la déclaration forte faite par Mary Lawlor, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, dans un entretien accordé au journal Le Monde suite à sa visite de 10 jours dans le pays.

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/12/07/en-algerie-en-matiere-de-droits-humains-il-y-a-un-decalage-entre-ce-que-dit-le-gouvernement-et-les-lois-qu-il-fait_6204459_3212.html

Sous le feu des projecteurs à l’occasion du 75ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’Algérie se voit adresser un sévère rappel à l’ordre de la part d’une rapporteuse spéciale de l’ONU. Au terme d’une visite inédite de 10 jours dans le pays, Mary Lawlor dresse un constat accablant de « l’atmosphère de peur » dans laquelle évoluent les défenseurs des droits humains.

Une invitation officielle pourtant perçue comme un « signe de bonne foi » par la principale intéressée. «Aucun pays du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord ne m’avait invitée à effectuer une visite officielle, explique-t-elle au Monde. C’est donc un signe de bonne foi et c’est encourageant car mon mandat est très controversé. »

Son verdict est cependant sans appel: « En Algérie, en matière de droits humains, il y a un décalage entre ce que dit le gouvernement et les lois qu’il fait ». Invitée officiellement par Alger, la militante irlandaise a multiplié les entrevues à Alger, Oran et Tizi Ouzou, pour « évaluer la situation » sur le terrain.

Si elle « salue la liberté » de nombreux acteurs, Mme Lawlor pointe du doigt les « graves difficultés » subies par ceux abordant des thématiques « sensibles ». Elle rapporte leur « sentiment de frustration et de peur » permanent face à un « harcèlement constant » des autorités. Entre intimidations, surveillance étroite et tracasseries judiciaires, ces militants décrivent une forme d’«ingérence de l’État dans leurs activités pacifiques ».

L’experte s’alarme surtout d’un « décalage » entre les discours officiels aux accents réformistes et une réalité beaucoup plus sombre. Ainsi, le fameux article 87bis du Code pénal, érigeant en crime tout appel au « changement du système de gouvernance par des moyens non conventionnels », donne un blanc-seing aux poursuites abusives. Votée pour lutter contre le terrorisme, cette disposition au spectre extensive est dévoyée pour museler les voix dissidentes, selon elle.

Sur cette base fragile, des militants emblématiques comme Kamira Nait Sid sont jetés en prison dans une forme d’« acharnement judiciaire ». D’autres sont accusés d’ « atteinte à la sûreté de l’État » sur de simples interviews à la presse étrangère.

Parallèlement, le financement international des ONG locales est prohibé, les privant de moyens essentiels et « isolant les militants ». Ces entraves systématiques aux libertés fondamentales ont logiquement un effet délétère sur le moral et la santé psychique des intéressés.

Face à ce sombre tableau, Mary Lawlor en appelle à la « volonté politique » des autorités algériennes. Elle les exhorte à respecter leurs « engagements internationaux » et à considérer enfin les défenseurs des droits humains comme des « alliés » plutôt que des ennemis de l’intérieur. Un changement de paradigme qui se fait toujours attendre.