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Election présidentielle anticipée : une décision et des interrogations

Radio M | 26/03/24 14:03

Election présidentielle anticipée : une décision et des interrogations

Cinq jours après l’annonce par le Chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, de la tenue des élections présidentielles anticipées, les interrogations persistent sur les motivations de cette décision qui a laissé perplexes les observateurs et beaucoup d’acteurs politiques.

« Tout en respectant la liberté d’opinion de chacune et de chacun, le PT refuse de s’engager dans des interprétations ou des spéculations susceptibles de répandre la confusion et l’incertitude », a réagi prudemment, à titre d’exemple, le PT dans un communiqué publié sur sa page Facebook.

Même les partis, proches du pouvoir, visiblement pris au dépourvu, ont salué la décision sans exprimer franchement leurs positions. C’est dire, le caractère surprenant et inexpliquée de cette subite décision.

Mais, qu’est ce qui a bien pu conduire les autorités à avancer les élections de trois mois ? Et ce qui désoriente davantage les observateurs est le choix de la date pour cette élection : juste au début de la rentrée sociale avec une campagne électorale qui interviendra en plein période de chaleurs, où beaucoup prennent leurs vacances ou voyagent. Ajoutez à cela le fait que les potentiels candidats ne disposent pas de suffisamment de temps pour préparer leurs staffs de campagne et mener une campagne suffisante pour aspirer à accéder à la magistrature suprême.

Non seulement Abdelmadjid Tebboune ne s’est pas adressé directement à la Nation, comme le commande la tradition, mais a choisi un format qui ne s’appuie sur aucun texte juridique : Un « mini-conseil » des ministres ou certains ministres de souveraineté n’étaient pas présents comme le ministre des finances, le ministre des affaires étrangères ou encore le ministre de la justice. Il ne s’agit en fait ni d’un Conseil des ministres, ni d’un Conseil de sécurité. Autre énigme :  la présidence n’a fourni aucune justification ni explication à cette décision. C’est l’agence officielle APS, relais de la communication présidentielle, qui s’est chargée d’avancer les raisons à l’origine de cette décision présidentielle. Sous le titre « Présidentielle anticipée : les raisons d’une annonce », l’APS a cité trois raisons qui expliquerait, selon elle, la décision de Tebboune.

D’abord, le souci du « retour à la normalité ». « Les événements de 2019, la présidentielle reportée de juillet 2019, celle « à la Hussarde » de décembre 2019, avaient modifié le calendrier électoral algérien. Bouleversé les traditions à cause d’événements politiques exceptionnels de par leur gravité » a expliqué l’APS, en reconnaissant implicitement que Tebboune a été « élu » dans des conditions anormales.

« L’éternel retour au peuple », est, ensuite, le deuxième « enseignement », qui a motivé la décision de Tebboune, selon toujours l’APS. « Cette annonce est le signe que le Président Tebboune fait confiance à son peuple, aux citoyens et aux électeurs », note l’auteur du texte. « Certaines voix habituelles ont commencé à échafauder les scénarios les plus absurdes, faute de décoder la boite noire présidentielle. La parole est libre et la spéculation gratuite », tente d’expliquer l’APS. Autrement dit, l’APS exclut les « soucis de santé » et l’ « existence d’une crise au sommet de l’Etat », comme tentent de l’accréditer certains.

Enfin, la troisième raison citée par l’APS est relative au « calcul géopolitique. » « Le dernier sommet du gaz, la gestion des conflits et les mutations géostratégiques et sécuritaires dans la région ont certainement mûri cette réflexion. Influé sur cette annonce ». 

Faute d’éclairer l’opinion et de lever l’ambiguïté, l’agence officielle, qui le 27 février dernier avait annoncé que les élections se tiendraient à la date prévue, n’a fait finalement que rajouter une couche épaisse à l’opacité et au flou qui entourent cette décision. Des explications qui n’ont pas convaincu grand monde si l’on se fie aux nombreuses réactions sur les réseaux sociaux et les spéculations sur les divers scénarios auxquels donne à lire ces élections anticipées.

Différents scénarios

Une première lecture qu’accréditent certains est la volonté d’Abdelmadjid Tebboune d’aller vers un deuxième mandat. Cette interprétation trouve appui sur plusieurs éléments, dont notamment sa visite prévue en France fin septembre et octobre 2024.

« Le jeu est fermé », a ainsi, par exemple, réagi le journaliste politique, Nadjib Belhimer. Selon lui, la programmation de la visite de Tebboune en France aurait motivé d’avancer la date des élections car, un président qui finit son mandat ne peut engager le pays dans des relations stratégiques. « Dans les traditions, les candidats à l’élection présidentielle ne peuvent se rendre en France pendant la période électorale », explique-t-il.  

Autre élément : le choix, d’apparence stratégique, de tenir les élections début septembre. En effet, cette période implique que la campagne électorale interviendra dans une conjoncture marquée par la chaleur et les grandes vacances. Ce qui pourrait compliquer grandement la tâche des autres candidats concurrents pour mener une campagne efficace. De quoi lui donner un avantage certain dans la mesure où les voix comptables sur le « Hirak » ne se rendront certainement pas aux urnes. De plus, cette décision d’anticiper les élections pourrait être interprétée comme une tentative de consolider sa position en vue d’un deuxième mandat. Et ce qui renforce cette thèse, soutiennent les mêmes observateurs, est que les récentes décisions en matière d’allocations et d’augmentations de salaire décidées par Tebboune s’inscrivent dans son souci de renforcer sa popularité pour s’assurer « un soutien solide » lors de la campagne électorale à venir.

Même s’il n’a pas encore affiché ses intentions, ses soutiens ne cachent pas leur souhait de le voir briguer un second mandat. En décembre dernier, devant les deux chambres parlementaires réunies, Abdelmadjid Tebboune avait été invité par certains pour postuler à un deuxième mandat. « La parole revient au peuple », avait-il répondu avant d’ajouter :« Que Dieu nous prête la santé nécessaire ». Une phrase interprétée alors comme une volonté du Chef de l’Etat actuel de briguer un deuxième mandat.

Une autre lecture défendue par d’autres observateurs est que la décision d’avancer les élections présidentielles de trois mois n’est que la manifestation d’une crise aiguë au sommet de l’Etat. En d’autres termes, des segments au sein du pouvoir seraient hostiles à la reconduction de Tebboune. Pour eux, il se pourrait « que les différents clans du pouvoir ne soient pas unanimes sur la question de la reconduction du président actuel ». Une hypothèse renforcée par les soucis de santé de l’actuel locataire d’El Mouradia , un sujet tabou jusqu’ici, son âge avancé, et qui ne plaident pas en faveur d’un nouveau bail.

« Il est possible que certains cercles du pouvoir ne souhaitent pas un deuxième mandat pour le président actuel. Cette divergence pourrait être à l’origine de tensions et de dissensions au sein du pouvoir, conduisant à une décision aussi radicale qu’une anticipation des élections », ont analysé certains sur la toile. Sauf que dans ce scénario, aucun candidat n’émerge, susceptible de le remplacer. Aussi, il serait illusoire d’imaginer l’organisation par les autorités d’une élection qui va porter au pouvoir un homme non issu de la « maison ». Sinon, elles auraient été sensibles aux appels à l’ouverture du champ politique et médiatique et à la libération de tous les détenus d’opinion.

En tout état de cause, faute de transparence et en l’absence d’informations fiables et de débats libres, il est difficile de percer le mystère et de comprendre les motivations de la décision présidentielle. Peut-être que les prochaines semaines, une fois que tous les partis se seraient positionnées, nous renseigneront davantage. Et particulièrement une fois que Tebboune aura exprimé ses intentions de rempiler ou non.