Fatiha Benabbou, universitaire et spécialiste en droit constitutionnel, fait une lecture de la mouture du projet de révision constitutionnel proposée au débat par la Présidence de la République le 7 mai 2020. « C’est une Constitution obèse. En 1963, nous avions une Constitution de 76 articles. En 2016, on est passé à 218 articles. Et là, le projet de la nouvelle Constitution compte 240 articles. Dans cette nouvelle rédaction, ce n’est plus des principes généraux qui ont été posés, mais des princes réglementaires, des points d’une précision relevant des règlements. L’écriture de la Constitution ne réponds pas aux mêmes principes que celle d’une loi ou d’un règlement. Lorsque la Constitution devient obèse, même les spécialistes en droit constitutionnel ne peuvent plus la lire. Il y a des détails qui vous éloignent de l’essentiel », a-t-elle constaté dans une déclaration à Radio M Post ce lundi 11 mai. Elle craint que la Constitution qui doit être le symbole devienne « symbolique » en perdant son caractère sacré et de suprématie. « En plus d’être nombreux, les articles sont éparses touchant à des domaines qui relèvent parfois de la loi. Il y a aussi beaucoup de non dits et de silences dans le texte », a-t-elle soutenu.
Selon Fatiha Benabbou, le projet de révision constitutionnelle n’a pas bien clarifié le rapport entre le président de la République et le Chef du gouvernement. « Il n’y a plus d’alliance présidentielle (qui existait à l’époque de l’ancien chef d’Etat Abdelaziz Bouteflika). La première inconnue sera donc la recomposition du champ politique. Dans le projet, le président de la République continue à nommer le chef du gouvernement et à le démettre », a-t-elle noté. Les lacunes qui existaient dans la Constitution de 1989 ont été, d’après elle, reconduites. Cela explique l’instabilité à la Primature. « Nous avions un chef du gouvernement chaque an. Une véritable hécatombe depuis Mouloud Hamrouche. Le chef du gouvernement en Algérie ne représente pas une majorité parlementaire. La Constitution n’en parle pas. Cela va provoquer des problèmes. Le chef du gouvernement est nommé après une simple consultation de la majorité. Il n’y a aucune obligation de tenir compte de l’avis de la majorité parlementaire. Le chef du gouvernement exécute le programme politique du président de la République, pas son programme. Pour que le chef du gouvernement ait un programme, il doit représenter une force politique et avoir été élu. Or, le chef du gouvernement n’est pas élu. Il dépend du président de la République, n’a pas d’indépendance fonctionnelle », a analysé la constitutionnaliste.
Il n’existe, selon elle, aucune différence entre le Chef du gouvernement et le Premier ministre dans le contexte algérien. Elle a cité l’exemple du Japon et de la Grande-Bretagne où les Premiers ministres puissants. L’absence de majorité parlementaire, censée gouverner et appliquer son programme, pose également problème. « Nous n’avons pas de traditions républicaines qui font que le président de la République peut nommer un chef du gouvernement en fonction du contexte politique, peut nommer un responsable en dehors de sa propre majorité. Nous devons clarifier les relations entre le président de la République, le chef du gouvernement et la majorité parlementaire », a-t-elle conseillé.