Abdelmadjid Tebboune a accordé, mercredi 2 juin, un entretien au journal français Le Point. Et pour la première fois, le chef de l’Etat s’exprime sur la répression qui s’abat depuis des semaines sur le Hirak et à demi-mot sur la volonté du pouvoir d’en finir avec le mouvement.
D’emblée, Tebboune, ancien Premier-ministre du Président déchu Abdelaziz Bouteflika, se présente dans la peau de celui qui remettra le pays sur les rails. « Il n’y avait plus d’institutions viables, seuls comptaient les intérêts d’un groupe issu de la kleptocratie. Il fallait donc reconstruire la République, avec ce que cela implique comme institutions démocratiques », a-t-il expliqué en réponse à la toute première question de Kamel Daoud et Adlène Meddi, quant aux conditions dans lesquelles il avait pris le pouvoir en décembre 2019.
Tebboune parle d’un pays qui était « au bord du gouffre » et « heureusement », a-t-il dit, qu’il y a eu le sursaut populaire du Hirak « authentique et béni » tel qu’il entend le désigner. Bien que son absence du pays lorsqu’il a été touché par la Covid-19, aura « retardé le programme des réformes », le locataire du palais El Mouradia estime que l’on a « réussi à faire en sorte que l’État fonctionne ». Avec, Saïd Chanegriha, « nous nous appelions tous les matins », a-t-il révélé. Mais point d’allusion au gouvernement et son Premier ministre, Abdelaziz Djerad qui, en vrai, constituent le pouvoir civil !
Chanegriha, l’homme de confiance
Au Hirak, Abdelmadjid Tebboune ne croit plus, car « les choses ont changé ». « Ce Hirak-là (Au début, NDLR) a choisi la voie de la raison en allant à l’élection présidentielle », se targue le chef de l’Etat, faisant fi du taux de participation (officiel) de 39% à la présidentielle du 12/12. Par contre, dans l’actuelle Hirak « hétéroclite », soutient-il, « on trouve de tout, il y en a qui crient ‘’État islamique !’’ et d’autres qui scandent ‘’pas d’islam !’’
Interrogé sur le retour des arrestations, Abdelmadjid Tebboune, affirmant que le pouvoir « n’était pas dos au mur » lorsqu’il libérait des détenus en février, dira que « le manifestant et le policier qui maintient l’ordre public sont les enfants de la même République ». « Je n’ai pas le droit de les laisser s’affronter. D’autant plus que les appels à la violence étaient clairs », a-t-il enchainé, relevant les « instructions » de Rachad pour affronter les services de sécurité et les tentatives du MAK « d’agir avec des voitures piégées ». « Face aux appels à la violence, la patience a des limites », admet Tebboune.
« Je ne crois plus au Hirak »
Interrogé sur les législatives, en l’absence d’une bonne partie de l’opposition, le chef de l’Etat refuse de voir les choses de la même manière. D’après lui, rien ne dit que les Algériens, dans leur majorité, sont opposés aux élections, et les boycotteurs ne représentent qu’« une minorité ».
Qu’en est-il de la menace islamiste au sein du futur Parlement ? Sur ce, Abdelmadjid Tebboune rassure que l’islam politique ne le gêne pas, « parce qu’il n’est pas au-dessus des lois de la République, qui s’appliqueront à la lettre ».
L’opposition : « Une minorité »
Le chef de l’Etat, s’exprimant sur le poids de l’armée dans le pays, le qualifiera d’une « réalité positive ». Toutefois, « l’époque où des officiers de l’armée siégeaient au comité central du FLN (ex-parti unique) est terminée. L’armée ne fait plus de politique », a-t-il assuré, rappelant qu’au début du Hirak et malgré les appels, l’armé « a refusé » de prendre le pouvoir.
A l’idée de lancer un parti politique, Tebboune écartera l’option à présent. Ceci dit, « plus tard, peut-être, lorsque les institutions auront repris leur place et leurs fonctions, libérées du diktat de l’argent sale, on pensera à créer un parti présidentiel », a-t-il précisé.
Rabah Kareche « a joué à tort au pyromane »
Enfin, interpellé sur le cas du journaliste Rabah Kareche en détention à la prison de Tamanrasset, bien que la Constitution interdise l’emprisonnement des journalistes, le chef de l’Etat va presque assumer cette violation en déclarant : « Il a joué à tort au pyromane sur un sujet très sensible. Très grave ».