À la veille de la Journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai, l’Algérie se trouve à la croisée des chemins. Bien que porté au pouvoir en 2019 par le vent de réformes du Hirak, le mandat du président Abdelmadjid Tebboune soulève de sérieuses interrogations quant à son bilan en matière de liberté d’expression. Loin d’incarner la rupture escomptée avec les dérives autoritaires du passé, le chef de l’État semble avoir emprunté une trajectoire familière en bridant les voix dissidentes et les médias indépendants.
Cette dérive autoritaire transparaît à travers le nombre croissant de journalistes incarcérés, de médias censurés et de poursuites judiciaires abusives visant à museler le quatrième pouvoir. L’arrestation fin 2022 du journaliste Ihsane El Kadi en est un symbole criant. Condamné le 2 avril à 5 ans de prison dont 2 avec sursis pour de simples critiques à l’encontre du régime, il a vu ses deux médias Radio M et Maghreb Emergent fermés par les autorités. Un cas d’école illustrant, selon Amnesty, l’utilisation de “lois fallacieuses pour bâillonner le journalisme”.
Malheureusement, Ihsane El Kadi est loin d’être un cas isolé. Au moins une dizaine d’autres journalistes et professionnels des médias ont en effet été poursuivis pénalement, arrêtés ou détenus ces deux dernières années. À l’instar du rédacteur en chef du journal régional Le Provincial, Mustapha Bendjamaa, arrêté en février 2023 pour avoir “reçu des fonds étrangers” et “divulgué des documents classés secrets”.
D’autres ont écopé de lourdes peines, comme Farid Herbi (3 ans ferme) pour avoir dénoncé la gestion des projets dans sa région. Ou Saâd Bouakba, interpellé pour avoir critiqué des projets du gouvernement. Une répression qui s’est également étendue aux médias, avec la fermeture de plusieurs chaînes dont Al Ajwaa TV pour “atteinte à la morale publique”.
Un cadre juridique au service du contrôle des médias
L’adoption mi-avril 2023 d’une nouvelle loi sur l’information est venue parachever cette dérive autoritaire dénoncée par les organisations professionnelles. En soumettant l’octroi des accréditations au ministère de l’Information et en créant un Conseil d’éthique en partie nommé par la présidence, le texte renforce le contrôle du pouvoir sur le quatrième pouvoir, menaçant selon la Fédération internationale des journalistes (FIJ) “la liberté de la presse et l’indépendance des journalistes”.
Au-delà des médias, c’est l’ensemble de l’espace public qui se réduit inexorablement sous la présidence Tebboune. La multiplication des emprisonnements de militants, l’interdiction de nombreux mouvements citoyens et partis d’opposition, ainsi que la mise au pas des derniers foyers de contestation, témoignent de cette dérive illibérale grandissante, à rebours des engagements démocratiques initiaux.
À quelques mois de la présidentielle de 2024, ce constat alarmant sur l’état de la liberté d’expression laisse donc planer un sérieux doute sur la sincérité du processus démocratique dans un pays en manque criant de réformes et d’ouverture. Malgré un bref laps de temps d’accalmie, l’Algérie semble repartie pour renouer avec ses vieux démons autoritaires, et ce malgré les aspirations de sa jeunesse et de la société civile.
À moins d’un sursaut rapide et d’un réel changement de cap, le pays pourrait bien se diriger vers une nouvelle période de régression des libertés publiques et de raidissement du pouvoir. Un scénario des plus inquiétants à l’heure où d’autres États de la région comme le Sénégal connaissent des soubresauts démocratiques, faisant craindre une marginalisation et un isolement accrus de l’Algérie sur la scène régionale et internationale.
L’élection à la présidence sénégalaise d’Ousmane Sonko en 2024, figure de proue de l’opposition, illustre cette vague démocratique qui déferle sur certains pays voisins. Portée par un vent de changement et de rupture avec les régimes en place, cette alternance pacifique du pouvoir contraste avec la dérive autoritaire observée en Algérie sous Tebboune. Tandis que le Sénégal ouvre une nouvelle ère d’approfondissement des réformes et de respect des libertés fondamentales, l’Algérie semble au contraire s’enfoncer dans une régression illibérale préoccupante.