La société civile revendique son Etat - Radio M

Radio M

La société civile revendique son Etat

Said Ait Ali Slimane | 11/12/19 15:12


Manifestations à Alger/ AFP

Des voix continuent à s’élever pour appeler à doter le Hirak d’une organisation et d’une « tête ». Se réclamant d’une connaissance des « lois de la révolution », ces voix estiment que le Hirak a perdu du temps et qu’il a raté l’occasion de liquider totalement le régime en place. C’est là un bilan bien négatif, un déni de la réalité.

Le bilan des forces politiques « organisées »

L’appréciation des inconditionnels de l’organisation et professionnels de la révolution fait fi du bilan des partis, mouvements, fronts, associations et forums qui ont occupé la scène politique depuis l’indépendance dans l’appui au régime ou dans l’opposition.

Quel est ce bilan ? A la veille de l’émergence du Hirak, ce qui dominait dans ces organisations c’est la division, les querelles de clans en leur sein. Ce lamentable spectacle mettait au second plan toute leur contribution à la propagation des idées de liberté et de démocratie.

Ces organisations s’en trouvaient stérilisées, soumises aux ambitions de leaders oublieux des aspirations de la société civile et focalisés sur leur carrière politique. L’avènement du Hirak constitue une critique sans appel des partis et personnalités politiques qui se sont englués dans une vie politique formelle et sans consistance sérieuse, une vie politique biaisée par les carrières et la recherche de privilèges. C’est d’ailleurs la sentence prononcée par le Mouvement populaire dès les premières semaines de manifestation.

Le Hirak, un Mouvement populaire sans pareil

Tout observateur honnête s’émerveille devant ce mouvement populaire pacifique qui sans relâche manifeste depuis maintenant dix (10) mois, exprimant la revendication de l’éradication du pouvoir autoritaire et de l’avènement d’un Etat de droit.

Quelle est l’organisation, parti ou rassemblement, qui a réussi un tel « exploit » ? Alors comment peut-on proposer des recettes qui ont failli ? Il faut d’abord comprendre ce qui fait la richesse et la fécondité du Hirak pour envisager son avenir.

Le Hirak, c’est l’engagement individuel d’Algériennes et d’Algériens aspirant à la liberté et à la fin des privilèges. C’est cette adhésion individuelle libre et responsable qui est la source de la diversité, de l’union et de la solidarité du Mouvement populaire du 22 Février.

C’est cette émancipation individuelle qui donne au Hirak ses couleurs variées, ses airs enchanteurs, cet élan vers la culture, le recours à l’humour ravageur et la détermination et la ténacité inconnues jusque là. Le pouvoir en place aurait dû comprendre qu’il a déjà perdu la guerre même s’il peut encore chicaner pour quelque bataille.

Le Hirak, ce sont les forces vives de la Société civile, ce sont les forces du travail, de l’intelligence, de la science, de l’art et de la culture qui se sont unies pour donner à l’Algérie un nouveau destin, celui de la dignité reconnue à chaque Algérienne et à chaque Algérien.

Des manifestations stéréotypées suscitées par le pouvoir se dégagent l’uniformité et la tristesse d’un mouvement sans conviction guidé par la peur d’une perte d’une vie routinière et par la préférence de la servitude rassurante par rapport à une liberté qui appelle l’autonomie individuelle et la responsabilité.

Cette lamentable exhibition préfabriquée suffirait à désigner les forces de l’avenir. Le Hirak représente incontestablement, sans idéalisation sublimatoire, une lame de fond, un mouvement de société dont les citoyens commencent déjà à voir les manifestations d’union, de tolérance, de solidarité et de coopération. Ce sont des valeurs portées par le Hirak qui continueront à se développer, malgré des irrégularités, et qui constituent le ferment dont se nourrira la Société civile algérienne pour aboutir à la réappropriation de son organisation, l’Etat algérien.

Le Hirak exerce le droit de révolte de la Société contre un pouvoir oppresseur

Il a été relevé par nombre d’auteurs et contributeurs que le Hirak est un mouvement qui transcende les idéologies, les sensibilités politiques, les projets économiques et sociaux, les croyances et les origines régionales de sa composante humaine. Cette caractéristique interdit le recours aux schémas organisationnels classiques.

Le Hirak ne peut pas être comprimé dans un front, un rassemblement, un parti ou toute autre organisation politique. Il est la Société civile en action. Il exerce le droit imprescriptible de cette Société à se révolter contre le pouvoir oppresseur, le pouvoir autoritaire. Ce droit est inscrit dans le socle des libertés fondamentales aujourd’hui patrimoine de l’humanité entière. Libre aux citoyens d’appartenir ou non à des organisations politiques ou à des associations catégorielles.

La seule condition exigée par la nature même du mouvement de la Société civile, c’est l’adhésion individuelle. La société civile ne peut pas être un assemblage mécanique de partis et d’associations. La diversité de sa composition et le moteur de son union, la liberté individuelle, appellent à la manifestation première de la qualité de citoyen de chaque Algérienne et chaque Algérien. C’est tout le « secret » du Hirak que le pouvoir répressif n’a pas compris lui qui s’acharne à démanteler la « main invisible » manipulatrice de ces citoyens « inconscients ».

Il n’y a ni « fondation » à ébranler, ni « tête » à décapiter. La Société civile en fait la preuve dans une performance inédite de manifestations pacifiques ininterrompues depuis 10 mois avec la même combativité et la même ténacité. Ceux qui par impatience, ils parlent de révolution, ou qui font offre de service, conseillent une organisation et une direction au Hirak, doivent comprendre que le Mouvement de la société civile n’a pas vocation à se maintenir éternellement dans la forme qu’il a prise depuis de 22 Février 2019.

Il est appelé à prendre d’autres formes plus ou moins stables selon le niveau de satisfaction de ses revendications et la conscience des individus qui le composent. Il ne peut donc s’enfermer dans des structures d’organisations figées et comportant des risques de fissuration du mouvement. Dans la réalité présente, les propositions d’organisation traditionnelle ne peuvent que s’accompagner de l’introduction de la centralisation, de la hiérarchie, du commandement et de la contrainte, toutes choses négatrices de l’initiative et de la responsabilité individuelles qui font la force du Hirak.

Le Hirak, un Mouvement pour la réappropriation de l’Etat

En fait, le Hirak perçu comme le mouvement de la société civile revendique une organisation, pas n’importe laquelle des organisations, pas un ridicule Bureau politique ou Directoire, pas un Congrès spectaculaire ou des assises offrant une tribune à des leaders charismatiques.

Le Hirak en tant qu’expression de la Société civile revendique l’organisation des organisations, l’Etat algérien. En collationnant les mots d’ordre inlassablement scandés, perfectionnés au gré des déclarations et des actes des autorités en place, cette revendication fondamentale apparaît clairement.

La Société civile algérienne veut récupérer son Etat, l’Etat algérien, ce moyen dont se dote une Nation pour préserver la sécurité, la propriété et la liberté de ses citoyens. La confrontation actuelle avec l’état-major de l’ANP ne relève pas du hasard. Ce ne sont pas simplement les déclarations hostiles du Chef d’état-major qui fondent cette confrontation pacifique.

La réappropriation de l’Etat passe par l’extinction du pouvoir politique militaire et l’intégration de l’Armée algérienne dans les institutions de la République selon les standards de l’Etat de droit. La Société civile aspire à prendre possession de son parlement, de son gouvernement et de toutes les institutions de la République. Elle repousse la Présidentielle factice du 12 Décembre 2019 pour que soient créées rapidement les conditions d’une démocratie représentative et la reprise des processus électoraux. Ce combat pacifique et intelligent de la Société civile peut aboutir. Les délais dépendent de la raison et de la perspicacité de notre Armée. Cela peut exiger de la patience. La justesse de ce combat est incontestable.