Ali Benflis a, d’une certaine manière, été battu une fois de plus, par Abdelaziz Bouteflika dans un jeu entièrement géré et contrôlé par le régime. C’est, en effet, de tous les candidats en lice, le plus proche du président déchu qui l’a emporté, dans une élection à haute abstention et donc « arbitrée » par le petit noyau des électeurs du régime. Pour certains, Tebboune va accomplir le « cinquième mandat » à l’issue d’une élection à marche forcée où Ali Benflis a joué, une fois de plus, le rôle du lièvre, mot qu’il déteste sans doute, mais qui est inévitable en politique. En Athlétisme, le lièvre est consentant, dans le jeu du régime algérien, il y a les consentants et, plus important, ceux qui croient qu’ils ne le sont pas.
Comme en 2014 – et encore davantage avec un Hirak rétif au jeu du pouvoir- Ali Benflis avait la possibilité de faire une lecture politique juste d’une situation où le régime, acculé, allait non seulement imposer l’élection mais également, et surtout, ne prendre aucun risque sur la personne qui occupera le palais présidentiel.
L’irréaliste constat d’un « horizon qui se dégage »
Le 12 septembre 2019, dans un article publié dans le Soir d’Algérie, Ali Benflis faisait le constat, irréaliste, qui allait le mener inéluctablement, à l’échec: « “L’horizon semble se dégager. Les perspectives s’ouvrent. L’impasse n’apparaît plus comme insurmontable. Jamais notre pays n’a été aussi proche de la sortie de crise. Et jamais, l’élection présidentielle n’est apparue aussi propice à cette sortie de crise….”.
Ali Benflis se remettait dans les conditions de 2014 en s’engageant, sans possibilité de retrait, dans le processus mis en place par la régime. L’affaire d’espionnage opportunément sortie au moment même du début du « silence électoral » était probablement destinée à lui signifier qu’il ne devait même pas songer à faire le coup du retrait des « six » en 1999 face à Bouteflika. C’est sans doute le moment où Ali Benflis a enfin compris qu’il était hors du coup. Tardivement.
Un jeu sans règles
Même dans les pays démocratiques, les hommes politiques connaissent de cruelles infortunes. En Algérie, les choses sont encore plus cruelles car la règle de base du fonctionnement du régime est justement l’absence de règles. Quand on fait ce diagnostic, un politique comme Mouloud Hamrouche, choisit, au risque d’être incompris et traité de velléitaire, de garder ses distances, de ne pas jouer. Il l’a dit de manière saisissante à des citoyens venus l’inciter à se porter candidat: « je dois vous dire que même si je suis élu président, je ne pourrai rien faire dans les conditions actuelles. » Mais la différence fondamentale entre Mouloud Hamrouche et Ali Benflis est que le premier est un « politique » tandis que le second est un « candidat ». La connaissance du régime conduit le politique sérieux à ne pas transiger sur sur les préalables politiques fondamentaux. Pour celui qui n’est qu’un candidat cette connaissance – jamais totale car justement la règle du jeu du régime algérien est l’absence de règles – le conduit à écouter son ambition et les faux messages.
C’est en 2003 que Ali Benflis, alors chef de gouvernement , soutenu par le chef d’Etat-major de l’époque, Mohamed Lamari et encensé dans la presse, a commencé à devenir un candidat. Le régime allait réussir le coup parfait: le soutien, sans doute sincère de Mohamed Lamari mais qui n’engageait pas ses pairs, notamment le général Toufik, allait pousser une partie du personnel du FLN et des médias à appuyer, le candidat Ali Benflis à la présidentielle de 2004. Un phénomène d’auto-intoxication qui permet au régime de réaliser son meilleur « coup » électoral de l’histoire.
La récidive de 2014
Le candidat Benflis va entrer dans un « silence » que certains croyaient être le signe qu’il a compris que le régime ne se permettra jamais de laisser gagner un « outsider » contre Bouteflika. D’où la surprise générale de le voir se porter candidat contre un Bouteflika malade que le régime présentait pour un quatrième mandat. Car si Benflis a pu croire naïvement en ses chances en 2004, il n’y avait aucune place au doute en 2014, il ne pouvait être qu’un lièvre, le « candidat du service minimum » qui donnera un semblant de crédit à la réélection d’un homme malade et en incapacité manifeste de gouverner.
En mars 2014, écrivait-on dans le Quotidien d’Oran, » la validité minimale à destination externe du 4ème mandat de Bouteflika a besoin d’Ali Benflis pour être, un tant soit peu, opérationnelle. Et tout indique que l’ancien Premier ministre ne fera pas défection au régime et qu’il ira jusqu’au bout de la partition qui lui est réservée. »
Le défaut, majeur, de Ali Benflis est qu’il a été trois fois candidat sans être jamais un politique. En 2019, il avait la possibilité d’être enfin un politique en collant au mouvement populaire qui veut rétablir les droits de la société et des citoyens. Il ne l’a pas fait, il a choisi, une fois de plus, d’être candidat dans un jeu sans règle d’où il est interdit de sortir une fois qu’on y entre.