Par El Kadi Ihsane
Critiqué de partout, le premier ministre Aimen Benabderrahmane incarne le coupable parfait dans l’immobilisme de la gouvernance Tebboune. A tort ?
La pression s’accentue sur le palais du gouvernement. Les derniers jours ont été particulièrement terribles pour le frêle pensionnaire du palais du gouvernement. Il a du essuyer une attaque brutale de Saida Neghza, la sulfureuse présidente de la COGEA mécontente de ne pas avoir été conviée en premier dans le protocole des rencontres du premier ministre avec les organisations patronales.
Elle l’a accusé, dans un vidéo tonitruante, de vouloir créer avec la CREA, confédération née il y’a deux mois et à laquelle ont adhéré des entreprises publiques, une nouvelle « 3issaba » sur le modèle de celle du FCE de Ali Haddad. Il subit un retour de flamme inquiétant des suites d’une augmentation « frugale » du point indiciaire de la fonction publique longtemps revendiqué et attendu, face à l’accélération de l’inflation, et finalement source de colère chez les syndicats de la fonction publique. La CSA – confédération des syndicats autonomes – a lancé un mot d’ordre d’action pour le 27 et le 28 avril prochains.
Une mesure supposée amortir le choc social a conduit à mettre de l’huile sur le feu faute de dialogue préalable avec les acteurs de l’économie et les représentants des travailleurs. Il n’en fallait pas plus pour que la présidence de la république se lâche un peu plus sur ce coupable tout indiqué qu’est Aimen Benabderrahmane.
Une ouverture de Une incendiaire dans le journal l’Expression, candidat renouvelé pour rester un canal de communication informelle des présidences successives, a apporté l’explication de la panne de la gouvernance que subissent les algériens : il y’aurait une Mercedes à la présidence de la république et une 2 cv au palais du gouvernement. Aimen Benabderrahmane est accusé de ne pas faire avancer les dossiers. Et d’être donc le principal obstacle au décollage de l’action publique que veut impulser un président qui ferait tout pour cela. L’attaque de Saida Neghza comporte le même réquisitoire différencié d’un président qui veut réformer et d’un premier ministre qui saboterait son action.
Le censeur immobile
La situation du premier ministre était déjà précaire en janvier dernier. Elle s’est beaucoup compliquée. Dés le 19 février, il perdait sa fonction de ministre des finances et son autorité, bien mince dés sa nomination en juillet 2021, a fini de se dissoudre dans un parfait surplace politique.
La communication officielle évoque 800 dossiers d’investissement débloqués, mais le premier ministre n’a toujours libéré aucun des dossiers en souffrance au CNI (conseil national de l’investissement), de même qu’il n’a pas réuni le CPE qui engage les grands partenariats publics-privés.
Le dossier de l’importation des véhicules est toujours en suspens en attente d’un cahier des charges et des agréments que personne ne veut signer. De même qu’aucune assiette foncière d’investissement n’a été attribuée depuis quatre années.
Autre signe de l’incapacité manifeste de Aimene Benabderrahmane à délivrer les dossiers à sa charge, la sortie de Veon du capital de Djezzy demeure en suspens depuis six mois faute d’un arbitrage finalement plus politique que commercial.
Sans expérience politique et sans indépendance opérationnelle, le premier ministre n’est jamais sorti de son costume étriqué de censeur à la banque d’Algérie qu’il a été pendant de trop longues années jusqu’à sa nomination surprenante dans l’écume du Hirak, à la tête de la banque d’Algérie. Il semble clairement pas outillé pour remettre en ordre de marche un appareil administratif en rébellion rampante contre le risque judiciaire qu’encours la moindre passation de marché ou attribution d’agréments.
Dans un tel contexte tous les arbitrages, petits et grands, remontent à El Mouradia. Même l’engagement des derniers lots à acquérir pour équiper les infrastructures sportives et pouvoir tenir les jeux méditerranéens d’Oran qui débutent le 25 juin prochain a été retardé par les atermoiements du premier ministre, manifestement incapable de comprendre que l’Algérie ne peut pas se permettre l’affront de se faire retirer en 2022 des jeux attribués en 2015.
Tebboune premier responsable
Abdelmadjid Tebboune s’est trompé une deuxième fois dans son casting de premier ministre. La faute lui revient entièrement.
Le président de la république veut en vérité garder la main sur l’ensemble de l’action de l’exécutif et choisit des premières ministres au profil d’exécutants sans relief. Aimen Benabderrahmane marche dans les pas de Abdelaziz Djerad. Il traverse la fonction en posture tétanisée.
En réalité, c’est le refus d’un mode de gouvernement adossé à de vraies majorités parlementaires réellement élues qui montrent toutes ses limites depuis l’avènement de Abdelmadjid Tebboune. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le prochain « technocrate », hors sol politique, que commence sans doute à rechercher l’entourage du président en consultation, évidemment, avec l’état major de l’ANP, est promis à la même impasse.
Aucun des profils tolérés n’a l’autorité politique pour diffuser suffisamment de confiance et rassurer les acteurs administratifs ou privés. Personne pour engager à nouveau la vie contractuelle, aujourd’hui dans le coma, base de toute avancée du business, puis du développement. Il restera, pour un nouveau round, le commentaire du jeu des chaises musicales.
Il n’est pas rare que les changements à la tête de gouvernement, hors exigence formelle de l’agenda électoral, s’opèrent au cœur de l’été, avant la rentrée sociale. Pour rester sur l’époque récente de l’ère Bouteflika les « successions » de Benbitour vers Benflis en 2000, de Belkhadem vers Ouyahia en 2008, de Ouyahia vers Sellal en 2012, de Tebboune vers Ouyahia en 2017, se sont toutes déroulées en été. Le plus souvent en aout ou au début de septembre.
Il faudra sans doute guetter la fin de mission de Aimen Benabderrahmane, après les JM d’Oran et les festivités du 60e anniversaire de l’indépendance. Peut être, en amortisseur, juste avant le début d’une nouvelle année sociale chargée de tous les dangers pour l’exécutif. Opération à blanc, les changements de fusibles sont devenus de plus en plus anecdotiques.