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Panique à bord et décisions populistes à la veille d’un vote contesté

Ghada Hamrouche | 03/12/19 15:12

Panique à bord et décisions populistes à la veille d’un vote contesté

La semaine écoulée, le pouvoir a pris des décisions multiples avec comme seul objectif inciter les électeurs à gonfler le taux de participation qui promet d’être le plus faible de tous les scrutins organisés depuis l’indépendance. L’adoption du nouvel découpage administratif par le conseil des ministres en fait partie. Il donnera naissance à dix nouvelles wilayas et à 44 wilayas déléguées. Elles sont respectivement toutes localisées dans le sud et la région des hauts plateaux du pays et ce n’est pas un hasard. Le pouvoir en place multiplie les gestes en faveur des populations de ces régions depuis plusieurs mois, comme par exemple le déblocage de certains projets gelés pour faute de financement. Le sud du pays, malgré une faible densité de la population a toujours été en tête des taux de participation, suivi de près par la région des hauts plateaux. Lors de la dernière présidentielle, les taux de participation officiels dépassaient les 80% dans la plupart des wilayas du Sud et avoisinaient les 70% dans les villes des hauts plateaux, en dehors de certains chefs-lieux de wilayas. Mais ces régions, à l’instar des autres wilayas du pays ont bien l’intention de bouder les présidentielles prévues pour ce mois de décembre. Ces populations ont eu l’occasion à plusieurs reprises et bien avant le début du Hirak, d’exprimer leur mécontentement en raison de leur abandon par le pouvoir central. Le mouvement de protestation en cours leur a donné l’opportunité de se sentir de nouveau solidaires de leurs concitoyens des autres régions du pays et leur engagement d’en finir avec un système de gouvernance qui les a marginalisés. 

Relance de l’extension du métro Bab El Oued Chevalley et véhicules de moins de 3 ans

Une autre décision importante est celle de l’extension du métro vers Bab El Oued et Chevalley. L’abandon du projet d’extension du métro a été justifiée par l’absence de financements. Et comme par enchantement, ces difficultés ont été résolues alors que les prévisions des principales rentrées de devises de l’Algérie n’ont jamais été aussi sombres et que le fond de réserves ne représente qu’une année d’importations. Et on annonce le démarrage des travaux pour le début du mois en cours. Cette décision s’inscrit en droite ligne avec l’autorisation, non moins populiste, d’importation des véhicules de moins de 3 ans en s’adressant au marché informel pour fournir la devise étrangère. Les spécialistes annoncent déjà que le véhicule usagé importé risque de devenir plus cher que le véhicule neuf et dénoncent l’incohérence de cette décision avec celle d’autoriser le montage des véhicules qui a déjà coûté tellement cher au trésor en manque à gagner en TVA et en droits de douanes non appliqués au kits importés.  Comme à son accoutumée, le pouvoir en place tente d’acheter l’adhésion de la société même s’il ne possède même plus les moyens de financer ces opérations.

Procès de la bande et vices de procédures

Le pouvoir s’embrouille et multiplie les annonces censées convaincre les hésitations. Alors que l’instruction des dossiers liés à la lutte contre la corruption, symbolisés par ce que le pouvoir réel appelle la lutte contre la bande ou la « 3issaba », semblait traîner en longueur, voilà qu’on a annonce subitement le début des procès pour le 02 décembre. Ces procès annoncés par le Ministre controversé de la justice lui-même au sénat, seront ceux des deux anciens premiers ministres de Bouteflika, Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, ainsi que de plusieurs ministres et des hommes d’affaires impliqués dans ces dossiers. Mr Zeghmati, faisant fi du secret de l’instruction, promet de grosses révélations et parle de dossiers très lourds. Il annonce clairement que le peuple aura l’occasion de juger de l’indépendance de la justice en Algérie et de son efficacité. Cette annonce a été largement relayée par les médias lourds soutenant le scrutin présidentiel et la feuille de route de l’État-major. On a même parlé de retransmission à l’américaine du procès à la télévision. Ce que le ministre de la justice s’est empressé de démentir en précisant que le procès serait ouvert au public.

L’annonce et la médiatisation outrancière du procès a attiré une immense foule le 02 décembre, premier jour d’audience. Dans un désordre incroyable et dans une salle incapable d’accueillir autant de monde, ni la défense ni les journalistes n’ont pu accéder au procès. Les avocats crient au scandale. Le procès est reporté au 04 décembre, officiellement, en raison de l’absence des conditions nécessaires au déroulement de ce procès. Le collectif de la défense, composé de dizaines d’avocats et de plusieurs bâtonniers, faisant dire à un avocat que le barreau d’Algérie est représenté dans ce procès, nie avoir demandé le report.

Dans une réunion ouverte aux journalistes le collectif de la défense annonce le boycott du procès prévu pour le 04 décembre. Les raisons de cette prise de position sont justifiées par un membre du collectif de défense et bâtonnier d’Alger, Maître Abdelmadjid Sellini, par le non-respect du code des procédures pénales. Il rappelle aussi que la constitution algérienne prévoit clairement que le jugement du Président de la République et du chef de gouvernement relève d’une haute cour rattachée à la Cour Suprême, une haute cour qui n’a jamais été créée. Il s’interroge sur les raisons de la programmation dans une précipitation injustifiée de ce procès à la cour « très exceptionnelle » de Sidi M’hamed, prompte à exécuter les instructions de l’exécutif. L’incompétence de cette cour pourrait être prononcée en cas d’appel contre le jugement rendu pour vice de procédure. Comme il se demande pourquoi un pouvoir exécutif qui a mis en place l’ANIE (l’Autorité Nationale Indépendante des Elections) et amendé le code électoral en moins d’un mois, n’a pas été capable de mettre en place cette haute cour de justice depuis l’arrestation des deux ex premiers ministres. Il dénonce la politisation de ces affaires en raison de leur programmation dans un contexte pré-électoral et rappelle avec ironie l’engagement de l’état-major à « accompagner la justice », en dépit des lois en vigueur. L’objectif non avoué est certainement l’incitation du corps électoral à participer au prochain scrutin en leur montrant que la « bande » est non seulement sous les verrous, mais jugée et condamnée, quitte à violer les lois et ses procédures.  

Une relique de l’ancien système

 Après la neutralisation des personnalités politiques, considérées par le pouvoir comme étant les animateurs principaux de la contestation, tout est mobilisé pour essayer de courtiser un corps électoral à élire un des cinq candidats en lice pour la présidentielle. Même l’annonce par le Ministère de la Défense Nationale des nouvelles méthodes de vote des militaires est mise à contribution pour convaincre de la transparence du scrutin. Alors que l’exigence de ceux qui rejettent ce vote n’est pas tellement la peur du manque de transparence, que le scrutin lui-même. Quelque que soit l’élu, il ne sera qu’une relique de l’ancien système que les contestataires demandent de changer. Et le débat télévisé entre les candidats prévu le 06 décembre, jour du 42ème Hirak, ne sera qu’une facette de cette parodie de présidentielle « transparente ». L’illégitimité du prochain président sera un autre vice de procédures à ajouter à l’actif de cette aventure aux lendemains incertains.