La Rapporteuse spéciale onusienne, Mary Lawlor, est repartie « déçue » après avoir fait un constat « inquiétant » sur la situation des défenseurs des droits humains en Algérie. La Rapporteuse était en visite officielle de dix jours, qui s’est achevée le 5 décembre.
« Malgré l’ouverture dont m’ont fait preuve plusieurs ministères et les assurances répétées que j’ai reçues d’eux sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, je quitte le pays déçue par les occasions manquées d’intégrer le plein respect du travail et de la légitimité des défenseurs des droits de l’homme en Algérie ».
C’est par ces mots que la Rapporteuse onusienne sur la situation de défenseurs des droits humains, Mary Lawlor, a achevé sa visite officielle en Algérie. Une visite de dix jours au cours de laquelle elle a eu à rencontrer des représentants du gouvernement, dont le ministre de la justice, ainsi que des défenseurs des droits humains. Mary Lawlor a également obtenu l’autorisation de se rendre dans trois prisons algériennes pour y rencontrer certains défenseurs des droits humains et d’assister à un procès, relatif au même contexte, au tribunal criminel de Dar El Beida.
« Malgré les assurances répétées que j’ai entendues de la part de diverses personnalités gouvernementales selon lesquelles l’Algérie est un pays où règne l’état de droit et tout le monde est traité de manière égale devant la loi, il est clair pour moi que les défenseurs des droits de l’homme qui choisissent d’opérer en dehors du cadre offert à la société civile par le gouvernement sont confrontés à de graves difficultés », a indiqué Mary Lawlor.
Elle a tenu à préciser qu’elle n’a pas rencontré de « terroristes, séparatiste ou agitateur politique », mais qu’elle a eu des rencontres avec des personnes pacifiques.
Représailles et manque de transparence
La Rapporteuse onusienne s’est dite « troublée » par le harcèlement permanent que subissent les défenseurs des droits humains. Chose qu’elle a constaté d’elle-même au cours de sa visite. Elle cite à ce propos, la surveillance, les multiples arrestations, les ISTN arbitraires qui pèsent sur les défenseurs des droits humains : « Cette surveillance et ce harcèlement constants ont créé un sentiment palpable de frustration et de peur chez les personnes que j’ai rencontrées », a-t-elle indiqué. La première observation relevée par la Rapporteuse est le manque de transparence des autorités algériennes dans les « actions répressives » menées à l’encontre des défenseurs des droits humains : « De nombreuses personnes ont fait référence à une police politique qui existerait dans l’ombre et qui ne semblerait pas avoir de comptes transparents à rendre », a-t-elle soutenu.
Mary Lawlor a également déploré le fait que des défenseurs des droits humains, qu’elle devait rencontrer aient annulé à la dernière minute, par crainte de représailles. D’autres « ont été arrêté à des points de contrôle ou détenus dans un poste de police pendant plus de dix heures« , parce que des « ordres sont venus d’en haut », a-t-elle ajouté. Elle a estimé que cela « Illustre le manque de transparence mentionné ci-dessus« .
Elle a rappelé à cet effet le cas d’Ahmed Manseri, membre du bureau de Tiaret de la LADDH dissoute, qui a été emprisonné juste après sa rencontre avec le Rapporteur spécial pour la liberté d’association et de réunion en septembre 2023. Ahmed Manseri a été accusé de « terrorisme » en vertu de l’article 87bis du code pénal. Ce dernier qu’elle a rencontré à la prison de Tiaret, lui a fait part des circonstances de son arrestation : « Il m’a dit que lorsqu’il a été arrêté par la police en octobre, une photo de lui rencontrant le Rapporteur spécial sur la liberté d’association et de réunion a été jointe à son dossier. Cela me dérange beaucoup qu’une telle réunion puisse être utilisée dans un dossier de terrorisme contre un défenseur des droits de l’homme. », a affirmé Mary Lawlor.
Des lois vagues non conformes à la constitution et les lois internationales
Dans son rapport préliminaires, Mary Lawlor a fait des observations quant à certains articles du code pénal algérien, dont les termes sont vagues, et qui ne sont pas conformes avec la constitution de 2020 et les lois internationales ratifiées par l’Algérie. Elle a demandé la modification du code pénal, notamment l’article relatif au « terrorisme » ( 87bis) et à « l’atteinte à l’unité national », l’article 95 bis relatif à « la perception de fonds pour commettre ou inciter à commettre des actes susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l’État », ainsi que d’autres articles relatifs à l’atteinte aux institutions de l’Etat et le Président de la République. A rappeler que ces articles sont fréquemment utilisés contre les détenus d’opinion, dont les défenseurs des droits humains et les journalistes en lien avec leur liberté d’expression.
La Rapporteuse onusienne a formulé 15 demandes au gouvernement algérien, dont la libération des défenseurs des droits humains, notamment les journalistes emprisonnés. Elle également demandé d’abolir l’utilisation des ISTN pour limiter les déplacements des défenseurs des droits humains à l’étranger et de laisser ces derniers faire leur travail sans les intimider.