Le Hirak, ce n’est pas toi et tes amis sur une page Facebook ou Twitter avec lesquels tu partages les mêmes idées et la même idéologie. Le Hirak est une vague révolutionnaire qui englobe des millions d’Algériens. Tenter de former un parti au nom du Hirak ou de représenter le Hirak ne diffère en rien du FLN post-indépendance qui a prétendu représenter en son sein l’ensemble des Algériens.
Un seul parti politique, dont le but supposé est d’arriver au pouvoir, ne peut rassembler toutes les sensibilités qui existent au sein de la société. Prétendre cela relève du populisme, c’est reproduire de nouvelles versions du FLN et du FIS.
Le Hirak est une éruption révolutionnaire qui tente de tracer un nouveau cours permettant de redonner de la vie et de l’efficacité au politique. Il le fait en mettant la pression sur le pouvoir de fait afin de le forcer à cesser d’occuper les espaces censés être ceux de la société civile et non les siennes: les médias, l’économie, l’espace public, la scène partisane, l’université… Ces espaces sont aujourd’hui totalement occupés par le pouvoir. Aucun parti, aucune association ne peut avoir une activité efficiente sans la libération de ces espaces.
Une utopie populiste naïve
Former un parti politique pour représenter le Hirak est une naïve utopie populiste susceptible d’évoluer dans deux directions. Un extrémisme fascisant pouvant basculer dans la violence en raison de la facilité avec laquelle il peut être infiltré de l’intérieur et de l’extérieur; ou alors que ses dirigeants finissent par succomber à l’attrait des postes et des privilèges en se retrouvant libérés du Hirak lui-même après avoir rompu physiquement avec lui du fait des obligations et des engagements avec le pouvoir…
Dès lors que des personnes se structurent dans une organisation officielle, elles deviennent conciliantes, contraintes de se soumettre à la logique politique (concessions, pragmatisme, respect des formes juridiques …) ou alors elles tendent vers la violence et le radicalisme, ce qui donne au pouvoir l’argument pour les faire sortir de la scène par la force de la loi. L’évolution la plus probable est qu’un tel parti se divisera en courants ou en partis radicaux ou modérés serviles.
La pratique de la protestation dans la rue diffère totalement de la pratique de la politique au sein d’un parti officiel agréé. L’échec des partis existants à réaliser des changements, mêmes minimes, sur le pouvoir ne tient pas au fait que leurs adhérents et dirigeants ne sont pas honnêtes ou qu’ils manquent d’idées. Cela tient surtout au fait que le champ politique est occupé par le pouvoir avec des instruments et des mécanismes non-politiques qui ne permettent le passage qu’à ceux qui ont les qualités requises que le régime fixe de manière automatique.
Libérer le champ politique, le défi principal
Le défi auquel fait fait face la société algérienne est celui de la libération du champ du politique et peut-être à le construire à partir de zéro. Ce processus ne se réalise pas par la formation d’un parti politique, il a besoin d’une pression révolutionnaire pacifique continue pour contraindre le pouvoir à reculer vers ses espaces naturels et à ne pas dépasser les limites fixées par la loi.
Former un parti politique pour représenter le Hirak ne diffère pas de la fondation du Front Islamique du Salut (FIS) pour représenter le mouvement de protestation après les événements d’octobre 1988. L’argumentaire du FIS a été que le FLN a échoué car constitué de gens qui ne craignent pas Dieu et qui se sont éloignés de la religion. Et donc, qu’il fallait fonder un parti composé d’hommes pieux qui vont investir l’assemblée législative pour faire le changement. C’est la même logique que l’on retrouve chez ceux qui appellent à structurer le Hirak dans un parti politique.
Nous ne sommes pas dans une révolution contre un ennemi extérieur permettant et justifiant que l’on transcende nos divergences idéologiques et politiques pour nous fondre dans un mouvement populiste révolutionnaire. Nous avons, bien au contraire, besoin de libérer le champ politique de l’idéologie populiste dont la nécessité a cessé d’être de mise après le rétablissement de l’indépendance nationale.
(*) Nouri Dris est professeur de sociologie
Traduit par la Rédaction – Article original