Samir Belarbi, Slimane Hamitouche et Toufik Hassani passeront aujourd’hui leur quatrième nuit en prison. Ce ne sont pas des criminels mais des citoyens qui défendent l’Etat de droit, l’indépendance de la justice et la démocratie. Leur place n’est pas en prison, les Algériens qui battent le pavé depuis le 22 février 2019 le savent.
Ces hommes ne menacent pas l’unité du pays, ils la défendent en défendant un Etat des citoyens. J’ai passé trois jours avec ces trois héros, au commissariat du Cavaignac et au tribunal Abane Ramdane. Trois jours, c’est long en cellule et cela m’a donné aussi le temps d’échanger, de parler, de découvrir leurs parcours, remarquables, et de prendre la mesure de leur courage.
Samir Belarbi est à la fois sage, calme, droit et fort. Vraiment fort. Je lui ai fait reproche, avec humour, de sa visite chez Ali Benhadj qui a suscité des polémiques. Il m’a donné son point de vue, j’avoue ne pas avoir été vraiment convaincu, mais je respecte sa liberté et donc son geste.
A aucun moment, le sourire n’a quitté le visage de Belarbi. Nous partagions la même paire de menottes pour aller au tribunal le matin et à l’hôpital Mustapha pour la visite médicale la nuit. Seuls quelques mètres séparent l’entrée du commissariat du fourgon. A chaque fois, Samir me disait : « Khaled, marchons lentement pour profiter de l’air pur avant de nous engouffrer dans le fourgon cellulaire ».
J’ai compris que ce militant aimait passionnément la liberté dont on le prive. Ces quelques mètres et ce moment bref où menotté avec moi, il aspirait un air moins vicié que celui de la cellule, lui semblait précieux car ils le reliaient à la ville, aux siens, avec lesquels il se bat pour l’Etat de droit et pour la citoyenneté.
Slimane Hamitouche, me dépasse d’un an d’âge seulement mais de nombreuses années de lutte et de militantisme. Cet homme, d’une gentillesse sans pareille, porte la blessure profonde et non guérie des familles des victimes de disparition forcée. La quête de la vérité sur les victimes de disparitions forcées dans les années 90, c’est son combat. Un combat qu’il a mené avec les autres souvent dans la plus grande des solitudes.
Slimane s’est investi dans le Hirak, ce qui a permis à des Algériens ignorants ou bien qui ne voulaient pas savoir, de connaître le drame des mères et des enfants des disparus. Le savoir en prison, lui l’écorché vif, me met dans une profonde tristesse. Et en colère.
Et il y a eu aussi Toufik Hassani, un homme d’un courage impressionnant, qui par sa parole, ses gestes, montre que l’on peut être humain et juste tout en étant policier. Toufik Hassani est un homme singulier et comme tel il perturbe le fonctionnement de l’arbitraire banalisé. En Octobre 2019, il a choisi d’être du côté des citoyens et par ce geste il a fait trembler les hiérarques tout en gagnant l’estime de ses anciens collègues – qui pensent comme lui qu’il y a une autre manière d’être policier – et aussi celle de centaines de milliers d’Algériens.
Je peux témoigner qu’au commissariat du Cavaignac, des policiers s’adressaient à lui avec respect, sans trop en faire pour ne pas s’attirer les foudres des chefs. Mais il n’était pas difficile de voir aux gestes, aux regards et à la manière de parler qu’ils avaient eux aussi, comme de nombreux Algériens, du respect pour lui. Car Toufik est un policier sincère et solidaire, comme certainement la majorité des policiers algériens.
A mes trois anciens camarades de cellule, je pense à vous. Je serai là le jour où vous sortirez.On vous attend tous. Khaled