En ce mois de mars 2024, Radio M, la première web radio en Algérie, célèbre son 11e anniversaire.
Cette célébration intervient dans un contexte particulier : une scène politico-médiatique éteinte, le média contraint au silence par un coup de force politico-judiciaire et son directeur Ihsane El Kadi qui croupit encore en prison.
Depuis sa création en 2013 par un groupe de journalistes dont Ihsane El Kadi, la web Radio, première du genre en Algérie, s’est vite imposée dans le paysage médiatique comme un média indépendant et engagé, offrant une programmation variée et une tribune aux voix souvent marginalisées.

Depuis 2013, elle est devenue une tribune aux économistes, aux politiques, aux artistes, aux intellectuels, aux militants des droits humains et aux officiels, contribuant ainsi à enrichir le débat public en Algérie. Ses émissions politiques, comme « 5 sur 5 », « CPP », « CEE », « Offshore » ou encore « Maranache Saktine » sont devenus de véritables espaces de liberté où toutes les sensibilités politiques, les experts économiques et même des activistes ordinaires viennent débattre et exposer leur vision sur toutes les questions qui agitent le pays. Des personnalités de renom dont un prix Nobel d’économie, Jean Tirole, et des leaders politiques sont passés sur ses plateaux.

Durant le Hirak populaire, Radio M s’est fait le devoir de relayer les revendications populaires et d’ouvrir ses antennes à toutes les opinions. Sans déroger aux règles éthiques et déontologiques, elle a gagné la sympathie de millions de téléspectateurs autant en Algérie qu’au sein de la diaspora, comme en témoignent les chiffres enregistrés par certaines émissions. Ce succès, les thématiques abordées et la liberté d’expression et éditoriale qui la caractérisait et dont jouissaient ses invités n’ont cependant pas été du goût des autorités.
En effet, dès 2020, les sites d’information Maghreb émergent et Radio M édités par l’entreprise, Interface Médias, devaient faire face à des actes de censure à plusieurs reprises. Le dernier en date remonte à janvier 2023. Et à ce jour, les deux sites ne sont pas accessibles en Algérie. Faute d’arguments pour justifier la censure, notamment après la publication par Ihsane El Kadi, d’un article très critique sur les « 100 jours de Abdelmadjid Tebboune », les autorités ont invoqué un prétendu financement étranger que le média a rejeté avec preuves à l’appui. Cette première salve n’était en fait que le début d’une opération visant à réduire au silence le média. Chose qui finira par intervenir à la fin de l’année 2022 après des convocations récurrentes de son directeur, tantôt chez la gendarmerie, tantôt chez la DSI. A chacune de ses convocations, le journaliste refusait de répondre sur le contenu diffusé par la radio, raison à vrai dire de ses déboires judiciaires.
Pour les observateurs, une émission où il a ouvert le débat sur l’opportunité d’un candidat du Hirak à l’élection présidentielle et son tweet récusant le montant des biens détournés par la « issaba » et récupérés par les autorités ont fini par agacer au plus haut point les autorités.

Arrêté dans la nuit du 23 au 24 décembre 2022 par des agents de la DGSI, Ihsane El Kadi passe plusieurs jours de garde à vue à la caserne « Antar » avant d’être placé le 29 du même mois en détention provisoire après sa présentation devant le procureur de la République du tribunal de Sidi Mhamed, à Alger. Et depuis cette arrestation, ses avocats ne cessent de dénoncer des dépassements dans les procédures.
Jugé en avril 2023, le patron de presse écope en première instance de cinq ans de prison, dont trois fermes, pour un prétendu « financement étranger de son entreprise », des faits que le journaliste a toujours rejeté.
Lors du procès en appel au mois de juin 2023, Ihsane El Kadi, voit sa peine alourdie, à sept ans de prison, dont cinq ans ferme par la cour d’appel d’Alger. Même la cour suprême refuse la cassation concernant son affaire en tant que personne physique, tandis que l’affaire de la fermeture de ses médias (personne morale) demeure pendante chez les instances judicaires.
Considéré à juste titre comme l’un des derniers médias libres du pays, la fermeture de Radio M et l’emprisonnement de son directeur ont suscité un tollé et une vague d’indignation au niveau national mais aussi international. De nombreuses organisations internationales de défense des droits humains ont appelé à sa libération immédiate et à la levée de toutes les charges retenues contre lui. Des appels qui se poursuivent à ce jour.
La prison de Ihsane El Kadi et les scellés des locaux sont le dernier acte de répression auquel Radio M a été confrontée au fil des ans. Déjà confrontée à des problèmes financiers, conséquence du marasme économique, au manque de publicité ainsi qu’au vide juridique pouvant permettre un autre modèle économique, Radio M se voit étouffée signant ainsi la mort de la liberté de la presse et d’expression dans le pays. Et malgré cette situation, Ihsane El Kadi, un journaliste réputé pour son professionnalisme, demeure un symbole de ces voix engagées en faveur de la démocratie et des libertés. Son combat pour la liberté d’expression reste un exemple inspirant pour tous ceux qui croient en un journalisme libre et indépendant et en une Algérie meilleure.