Loi sur les "fakes news" : un blogueur condamné à une lourde peine à Tlemcen - Radio M

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Loi sur les « fakes news » : un blogueur condamné à une lourde peine à Tlemcen

Radio M | 26/08/21 10:08

Loi sur les « fakes news » : un blogueur condamné à une lourde peine à Tlemcen

Promulguée en avril 2020 au début de la crise sanitaire, la loi supposée lutter contre les « fake news » s’est transformée en instrument de répression contre les blogueurs et les journalistes libres.

La justice algérienne continue de prononcer de lourdes peines contre les journalistes, les activistes et les blogueurs en se basant sur la loi dite de lutte contre les « fakes news ». Cette fois, c’est dans la wilaya de Tlemcen qu’un juge a prononcé le 12 août dernier, une peine de 2 ans de prison ferme avec mandat dépôt contre le jeune blogueur, Abdelhalim Mokhfi.

Une peine « exagérée » qui a étonné même les avocats de la défense. « On s’attendait pas à une peine aussi lourde », nous déclare un avocat membre du collectif de la défense. Âgé de 32 ans, l’administrateur de la page Facebook « Sawt Tlemcen », (La voix de Tlemcen), a été incarcéré suite à une plainte du wali. Il est accusé d’ »outrage à corps constitué » et de « diffusion et propagation de fausses informations ».

Les faits sur lesquels les poursuites judiciaires ont été engagées contre le blogueur sont des publications diffusées sur Facebook et qui ressemblent à des milliers de textes des internautes algériens. Il n’y a rien d’extraordinaire dans les publications du jeune Tlemcenien par rapport à la tendance générale des réseaux sociaux algériens. C’est du moins ce que nous avons constaté avec l’avocat de l’accusé.  

Selon la défense, quatre publications sur sa page Facebook ont été suffisantes pour envoyer le jeune bloggeur en prison. Il s’agit d’abord d’une lettre qu’il a écrit au wali évoquant l’absence de la propreté à la ville de Tlemcen, d’un autre texte abordant la question de la migration clandestine « Haragas », un troisième écrit ou il dénonce l’empêchement par la police d’un rassemblement de célébration de la fête de l’indépendance le 5 juillet à Tlemcen et enfin un dernier poste dans lequel il dénonce les différentes crises (eau, oxygène..).

L’affaire de ce jeune homme n’est pas unique en son genre. Ces derniers mois, plusieurs citoyens ont été poursuivis dans ce cadre. A cet effet, les défenseurs des droits de l’homme et les organisations de défense des libertés trouvent que la législation algérienne contient de nombreuses «dispositions répressives qui permettent de poursuivre les journalistes ainsi que des blogueurs».

Termes vagues

Pour Amnesty International, « ces dispositions, bien souvent, sont formulées en des termes vagues et ont une portée excessivement large, ce qui fait qu’elles peuvent être invoquées de façon arbitraire contre des personnes critiques à l’égard des pouvoirs publics », écrit l’ONG dans un rapport publié le 22 février 2021.

L’ONG a constaté que les tribunaux algériens se fondaient sur au moins 20 articles de cette nature dont l’article 196 bis au Code pénal pour punir la diffusion de « fausses informations ».

L’article 196 bis stipule « l’emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende de 100.000 DA à 300.000 DA, quiconque volontairement diffuse ou propage, par tout moyen, dans le public des informations ou nouvelles, fausses ou calomnieuses, susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre publics. En cas de récidive la peine est portée au double ».

Les défenseurs des droits de l’homme avaient exprimé leur préoccupation par l’absence de définition des « informations fausses » dans la loi n°20-06. Ils trouvent que cet article « confère aux autorités un pouvoir disproportionné et discrétionnaire, dans le sens où cette disposition pourrait être utilisée pour supprimer la couverture d’informations critiques et controversées ».

Critiques des autorités

Le cas du jeune blogueur, Abdelhalim Mokhfi, est emblématique. Il a été non seulement poursuivi en justice mais également condamné à une des lourdes peines prononcées sur la base de la n°20-06. Connu pour son activisme au Hirak dans ses premiers mois, le jeune détenu a cru à un changement et « souplesse après les présidentielles », selon son avocat Youcef Benkaaba. Il se retrouve désormais derrière les barreaux juste après la première critique adressée aux autorités.   

A ce titre, Me Benkaaba nous a révélé que les détenus d’opinion ainsi que d’autres administrateurs de pages Facebook à Tlemcen ont été avertis par les services de sécurité afin d’arrêter les « Lives Facebook » et les publications abordant la situation sanitaire lors de cette troisième vague du Coronavirus particulièrement meurtrière.

Les autorités locales de cette wilaya de l’extrême Ouest ne voulaient pas que les informations liées au manque d’oxygène fuitent. Diffuser des informations ou donner son avis sur la situation difficile dans laquelle sont plongés les hôpitaux surtout avec le manque d’oxygène, n’est pas du gout des services de sécurité.

Convocations en cascade  

Les « intimidations » des services de sécurité n’ont pas dissuadé les jeunes blogueurs. Face à leur détermination à dénoncer une situation sanitaire catastrophique, les services de sécurité ont fini par sévir.

Des convocations en cascade ont été envoyées à plusieurs blogueurs dont une partie refuse toujours de se rendre aux locaux de la police. Abdelhalim Mokhfi était le premier à avoir répondu à la convocation et jugé.

L’incarcération de Abdelhalim a poussé les autres administrateurs de pages Facebook à refuser de répondre aux convocations de la police pour éviter le même sort que leur ami.

Contacté par Radio M, l’administrateur de la page « Barid Tlemcen », Hocine Baba convoqué lui aussi pour les mêmes raisons, nous a confié qu’il ne va pas répondre à la convocation de la police malgré le mandat d’amener qui a été ordonné contre lui. « Je n’ai insulté ni diffamé personne. Je n’ai fait que parler de la réalité du secteur de la santé ici, du manque d’oxygène et des lacunes du wali. Mais je sais que je ne bénéficierai pas d’un procès équitable, d’où mon refus de répondre à la convocation », a signalé le jeune blogueur.  

Hocine Baba qui avait de l’espoir de voir une Algérie meilleure s’est retrouvé déçu de « la nouvelle Algérie » qui, selon lui, « avance en arrière », façon de dire qu’il y a un recul en matière de liberté. « La liberté d’expression est un droit assuré par la Constitution, mais les gens ont fini par avoir peur de parler malheureusement », a-t-il regretté.

Enfin, l’avocat Youcef Benkaaba qui prend en charge ces dossiers à Tlemcen, note que le législateur algérien, « fait souvent des interprétations politiques des articles de loi pour faire face aux plumes qui dérangent et qui ont un discours différent de celui du pouvoir ». Pour lui, l’article 196 bis et les autres articles liberticides, « sont utilisés avec une arrière-pensée politique pour faire taire des voix libres ».