« Algérie, mon amour », un reportage de la chaîne française France 5, réalisé par le journaliste Mustapha Kessous, et diffusé mardi 26 mai 2020, au soir, suscite la colère des algériens. Le reportage autant que le débat qui l’a suivi ont provoqué un mécontentement sur les réseaux sociaux et a amené des médiax internationaux, tels que Russia Today(RT), à se saisir du sujet.
Les internautes n’ont pas apprécié le mélange fait entre le sujet du départ, l’engagement des jeunes dans le mouvement de contestation populaire de février 2019, avec d’autres thèmes comme l’émancipation de la femme et l’éducation sexuelle. Certains ont accusé le réalisateur, spécialisé plutôt dans des travaux sur le sport, d’avoir dénaturé le sens du Hirak en suggérant qu’il s’agit d’un soulèvement pour la liberté sexuelle. Une capture d’une scène du reportage montrant un couple prenant du Pastis a été largement partagée sur les réseaux sociaux. Autant que celle de trois jeunes femmes, assises sur une terrasse, et parlant de la frustration sexuelle. Le hashtag « Ce n’est pas mon Hirak » a été lancé sur Twitter pour répondre au reportage, qualifié d’orienté, de France 5. «
Le doc de France 5 ne représente pas le Hirak, ne représente pas les revendications du Hirak ni les hirakistes. Un doc qui propage la haine », tweete Zerekko. « On a fait le Hirak pour une Algérie meilleure, un gouvernement non corrompu et pour faire justice. Ce n’est pas une minorité de la population, qui s’en fout de nos traditions et de nos coutumes, de décider de notre avenir ou d’écrire notre Histoire, honte à vous », s’indigne Moufid Filali, sur Twitter. « Ce reportage est une manière de pervertir le Hirak et de polluer les esprits », note Lyes Merabet, médecin et syndicaliste, sur Facebook.
« Un travail bâclé »
« Je suis sortie pour un mode de vie meilleur ,une justice indépendante …et pour moi ce n’est pas avec une cigarette et en s’embrassant en plein public que je vais être heureuse et libre », dénonce Rynaz sur Twitter. « Le peuple algérien est sorti pour mettre fin à la corruption et la dictature non pour boire de l’alcool ou de s’embrasser en plein rue! » , reprend Bezzi Yaman sur Twitter aussi. « Ils sont à la recherche d’exotisme, c’est un fantasme, une manière de vendre les sociétés arabes qui n’est pas si nouvelle, et qu’on retrouve d’ailleurs dans des œuvres littéraires et artistiques, et même chez nos écrivains (sans les citer) », note Mude Ah sur Facebook.
« C’est le résultat d’un travail bâclé. Le jeune Kessous, né en France, a une bonne plume pour décrire les sujets de discrimination, de violence policière, arrive à Alger, a un certain temps pour tourner un doc sur le hirak… il tombe dans les clichés et pense comprendre la situation. Un bon travail nécessite la préparation , le temps et la proximité », observe Aladine Bounajar, journaliste algérien à Paris.
Mohamed Lalali a relevé, pour sa part, que le reportage sur France 5 était un mélange « entre les revendications politiques du Hirak pour un Etat de droit, l’émergence d’un contre pouvoir, l’indépendance des institutions avec les problèmes sociaux culturels de notre société. Je pense que cet amalgame est prémédité ». « Le doc de France 5 sur le Hirak, sans le Hirak. Sans intérêt », résume l’historien Amar Mohand Amer. Le comédien Fodil Assoul a, lui, ironisé : « je préfère regarder le documentaire sur la reproduction des grenouilles sur National geographic ! »
« Produisons nos images ! »
L’éditorialite Ali Bahmane est plus nuancé: « Bonne ou mauvaise, cette émission met en relief l’essentiel qui est l’absence totale de reportages et de débats honnêtes sur le Hirak sur les télés algériennes, privées notamment ». Le journaliste Adlène Meddi aborde une autre problématique. «Ne jugeons pas ceux qui se sont exprimés dans le « documentaire ». Réfléchissons au fait qu’un gars a fait un produit bien emballé et bien vendu et qui soulève tant de passions.Réfléchissons au fait qu’un programme d’une télé française puisse autant affecter. Voilà un des résultats de la fermeture imposée aux professionnels algériens ou étranger pour travailler normalement », écrit-il sur Facebook.
Des internautes ont relevé que le reportage est tombé dans une flagrante contradiction : il montre, d’un côté, des jeunes qui s’engagent pour la liberté en Algérie, et, de l’autre, fait parler ces mêmes jeunes sur leur désir de quitter le pays. Totalement déséquilibré, et sans aucun recul, le reportage s’est basé sur des témoignages décousus de cinq jeunes, présentés comme des hirakistes, deux d’Alger, deux de Tizi Ouzou et un d’Oran. « C’est, après tout, un reportage fait par un français destiné au public français », a conclu un internaute.
Un autre a fait un plaidoyer pour que les algériens se mettent au travail et réalise des documentaires et des reportages sur le Hirak, les mutations sociales, les questions culturelles… « Produisons nos images ! », a-t-il lancé.